Si vous passez dans mon village,
Vous verrez, au fond d’un enclos,
Un vieux chalet vaincu par l’âge,
Croulant, comme dans les tableaux.
Il est écarté de la route:
Rien d’étrange ne le trahit;
Quelquefois une chèvre y broute
L’herbe haute qui l’envahit.
Chaque saison, l’on voit s’emboire
Ses anciennes couleurs; et puis
Les oiseaux ne viennent plus boire
Sur la margelle du vieux puits.
Plus de riches vergers; les brises
De l’automne humide et venteux
Déchiquètent les têtes grises
Des grands peupliers souffreteux.
Aux crevasses des cheminées
L’hirondelle niche au printemps;
Mais ce toit, depuis des années,
N’a pas eu d’autres habitants.
Rien n’embellit, rien ne décore
Ce dénûment presque absolu;
Seul un vieux lierre grimpe encore
Aux clous d’un auvent vermoulu.
Cet auvent délabré s’effondre
Sur un chambranle trébuchant,
Où viennent jouer et se fondre
Les lueurs fauves du Couchant.
Oh! la radieuse fenêtre!…
Quand par hasard je la revois,
Quelque chose en mon coeur pénètre
Qui met des larmes dans ma voix.
Pourquoi? – J’avais trempé ma plume
Pour vous l’écrire, mais voilà :
Il me faudrait faire un volume
Pour répondre à ce pourquoi-là.
J’avais quinze ans. De la jeunesse
En moi déjà sonnait le cor;
J’aurais vendu mon droit d’aînesse
Pour un sourire… ou moins encor.
J’allais par les bois, sur les grèves,
En proie à de vagues ennuis;
Mes jours étaient hantés de rêves,
Et mille émois troublaient mes nuits.
À cet âge où l’âme raffole
De toute énervante liqueur,
Souvent mainte émotion folle
Pour un rien me prenait au coeur.
Dans mes courses à l’aventure,
Je passais près du vieux chalet,
Dont alors l’antique structure
Dans un frais jardin s’isolait.
La maison était habitée
Par des anciens, nous disait-on;
Famille à l’écart, molestée
Par tous les cancans du canton.
Des étrangers, des gens austères
Qu’on n’apercevait pas souvent.
Jamais d’enfants dans les parterres;
L’aspect morne d’un vieux couvent.
Chaque fenêtre était fermée;
Et, quand je faisais, soucieux,
Ma promenade accoutumée,
Jamais je n’y levais les yeux.
Un soir pourtant – toute ma vie
En garde un souvenir croissant -
Je ne sais quelle vague envie
Me fit retourner en passant.
Pour ma pauvre âme à peine ouverte,
Quelle aube! quelle éclosion!
À travers la ramure verte
J’eus une blanche vision.
À cette fenêtre en ruines
Que je viens de vous dessiner,
Au milieu de roses bruines
Je vis un profil rayonner.
Un profil… comment vous dirai-je?
Je vous le décrirais en vain;
Un de ces profils où Corrège
Mettait tant de reflet divin.
C’était une tête sereine,
Une fraîche tête d’enfant;
Mais jamais face souveraine
N’eut un éclat plus triomphant.
Elle m’est encor familière;
Je la retrouve en mon sommeil,
Blonde, et dans son cadre de lierre
Souriante au Couchant vermeil.
Elle était divinement belle;
Le plus grand peintre de portraits
Eût trouvé son pinceau rebelle
Devant l’idéal de ses traits.
Son regard plongeait dans l’espace…
Mille parfums débilitants
Flottaient dans la brise qui passe,
Avec les chansons du printemps.
Ne croyez pas que j’exagère
Ma pauvre raison s’ébranla;
Je m’enfuis! – La belle étrangère
Pour toujours aussi s’envola.
Je ne la revis plus. Une ombre
S’efface moins rapidement.
Mais de mes souvenirs sans nombre
C’est peut-être le plus charmant.
O fleur des premières aurores!
Bouton d’or si vite cueilli!…
Depuis, bien d’autres météores
Ont passé dans mon ciel vieilli;
Mais, quand le hasard me ramène
Vers ces lieux où mon coeur se plaît,
Une puissance surhumaine
M’entraîne vers le vieux chalet.
Et là, ravi de tout mon être,
Je crois revoir – regrets cuisants! -
Refleurir à cette fenêtre
La douce fleur de mes quinze ans