L'orpheline au couvent
Jules Verne

Poème L'orpheline au couvent

J’étais seule sur terre, encor bien jeune, hélas !

Faible fleur sans racine,
Sans appui, sans parents que je ne connus pas.

Je restais orpheline !

La mort avait frappé, comme frappe un faucheur

Aveugle et sans clémence,
Ceux que
Dieu me donnait pour me former le cceur,

Pour guider mon enfance !

Seule, j’allais périr, sans soutien, sans secours,

Naissante tourterelle
Sans force, en mon berceau, j’allais dormir toujours,

Car je n’avais pas d’aile !

Mais non ! sur moi veillait la triste charité ;

Sa tendresse éphémère
Allait en m’entraînant dans sa captivité

Me remplacer ma mère !

Si j’étais morte, alors ! je m’envolais au ciel

Jouer avec les anges,
Accompagner les voix, au pied de l’Eternel,

De leurs saintes phalanges !

Mais non ! pauvre enfant seule, abandonnée aux vents,

La terre me destine,
Prévoyance bien triste, à ces sombres couvents,

Parents de l’orpheline !

Pardonnez, ô mon
Dieu ! peut-être en ce moment

Que ma voix vous blasphème !
Mais hélas ! faut-il donc sans un gémissement

Perdre ce que l’on aime !

Sous la grille fermée,
Dans le fond du parloir,
Vivant sans être aimée,
Dans l’ennuyeux ouvroir
Ma languissante enfance
Traîna son existence,
Sans goût, ni répugnance
Dans un sombre et long soir !
Quelle douleur amère
Se mêle au triste jour,
C’est en vain qu’on espère,
En ce morne séjour !
Jamais l’espoir ne germe,
Pour vous montrer un terme ;
Lorsque l’on nous enferme,
Pleurons, c’est sans retour ‘ !

Dans cet humide espace
Tout change et tout pâlit !
Le cœur brûlant s’y glace
Et le corps s’affaiblit !
Jamais on ne réclame,
Le vent éteint la flamme,
L’ennui se mêle à l’âme,
Et le jour à la nuit !

L’ombre au soleil se mêle,
L’épine à toute fleur,
La rose pâle et frêle
Végète sans couleur !
Le ciel orageux gronde,
La brume nous inonde,
Pas de voix qui réponde,
La tristesse est au coeur.

Tout faiblit, agonise
Sous un si sombre ciel,
De
Dieu la sainte
Eglise
Saisit d’un froid mortel,

Et l’eau qui vous asperge,
L’encensoir et le cierge
La niche de la
Vierge,
Tout dort avec l’autel !

Ce temps si monotone,
On le passe à souffrir,
Quand le mal abandonne,
On le passe à gémir,
Et toutes ces années
Que l’on voit ramenées,
Ainsi que leurs aînées,
On les passe à mourir !

Je végétais ainsi dans l’ombre et la tristesse !

Je consacrais ma vie au service de
Dieu !

De mes lèvres tombaient de doux chants d’allégresse

En frissonnant dans le
Saint lieu !
Lorsqu’un jour, triste jour !
Je sortais de l’Eglise,

On m’entoure toute surprise,

On m’entraîne loin du couvent !
Je traverse en courant la ville, la campagne…
D’une jeune duchesse on me fait la compagne !

Je suis libre comme le vent !

Mon dieu ! comme le soleil brille,
Oh ! qu’il fait bon être sous lui !
Plus de couvent et plus de grille !
J’ai ma compagne pour appui !
Il faut admirer la nature,
Il faut sentir comme elle est pure.
Lorsqu’on n’a jamais rien connu,
Il faut apprendre toutes choses,
Couleur des lys, odeur des roses,
Avec un esprit ingénu !

Comme cette feuille est perlée,

Sur son tissu d’un blanc satin !

Ce sont les gouttes de rosée

Qu’elle aspire chaque matin !

Tous ces oiseaux sous ce feuillage,

L’ombre tiède des frais bocages,

Les prés, les fleurs, les lacs, les champs,

Tout ce parfum que l’on respire,

Tout ce qu’ils paraissent vous dire,

Est-il préférable aux couvents ?

Au lieu de leurs sombres arcades,
Du bruit monotone des pleurs,
J’ai le murmure des cascades,
J’ai l’ombre des arbres en fleurs !
Le soleil en feu qui m’inonde,
Le transparent miroir de l’onde,
Tout cela ne vaut-il pas mieux ?
Pour prier
Dieu qui se révèle,
Au lieu de l’étroite chapelle,
J’ai la voûte immense des
Cieux !

Et puis ma compagne est si bonne !
Je lui suis une tendre sœur !
Quoique je ne sois pas baronne,
Nous n’avons qu’un même cœur !
Sa mère d’un doux nom m’appelle,
Ma fille ! oh ! je la trouve belle !
Les anges viennent ici-bas !
Je veux lui faire ma prière !
Je veux le soir sur la poussière
Baiser la trace de ses pas !

J’aurais traîné mon existence

Sur les pierres de ce couvent !

Conduite par la
Providence,

Elle est venue ! il était temps !

Bientôt, oh ! je me le figure,

J’aurais transformé ma nature

Pour ces natures de douleur !

O mes oiseaux, mes fleurs, ma terre,

Mes chants, mon lac, ma sœur, ma mère !

J’ai repris la vie au bonheur !

L’hiver ! c’était l’hiver ! dans la bruyante ville,
Quand tout resplendissait de lumière et de bruit,
Quand tout était rempli d’un parfum que distille
La fleur que l’art dérobe à la glace indocile,
Quand le jour était dans la nuit !

Quand nous nous revêtions de la blanche toilette,
Pour ces bals ennivrants que la foule encombrait,
Lorsque longtemps avant, l’attente de la fête,
Faisait tourbillonner notre sang, notre tête,
Tant le plaisir nous transportait !

C’était là le bonheur ! les bals, les chants, la danse !
Ces tourbillons sans fin toujours plus délirants !
L’orchestre qui tantôt mollement vous balance,
Et tantôt vous enlève en sa vive cadence,
De ses sons pressés, haletants !

Tout ce bruit, ce parfum, ce plaisir ! quel spectacle !
Sentir trembler son cœur d’un frisson inconnu,
Chercher à deviner quel trop secret oracle
Vient lui parler tout bas ! ah ! pourquoi ce miracle,
L’ai-je si longtemps méconnu !

Pourquoi loin de ces bals, des danses, de la fête,
Passer des jours obscurs à veiller et souffrir,
Et pourquoi, du bonheur alors qu’on est au faîte,
Un vertige bien doux ne prend-il pas la tête :
Pour en tomber ! et puis mourir !

Enfin l’âge avançait !
De ma noble compagne,
L’amour bientôt remplit le cœur fait pour aimer !
Heureux ! trois fois heureux ! cet amant qui le gagne,

Bienheureux qui put l’enflammer !
Dans les salons brillants que le bonheur décore,

Des bals retentirent encore
De leur tourbillon décevant !
Et puis tout s’éteignit ! l’amour de mon amie,
Mon bonheur ! on n’avait plus besoin de ma vie !
Morte !
Je rentrais au couvent !

Avez-vous bien compris, dans vos jours de douleur,

Tout ce qu’est la tristesse !
Ce qu’est ce souvenir qui mêle son bonheur

Aux pleurs de la jeunesse !

Il s’approche de vous comme un doux avenir,

Vous tire par la manche,
Vous sourit, et pourtant ce n’est qu’un souvenir,

Qui sur nos fronts se penche !

J’étais jeune et bien jeune ! au sein d’un monde d’or

Je m’avançais sans crainte,
Il faut y renoncer, le perdre ! plus encore !

Y renoncer sans plainte !

Jeune ! oh ! je le savais ! belles, de douces voix,

Des voix de jeunes hommes,
Au sein de tous les bals, au fond de tous les bois

Chantent ce que nous sommes !

Quoi ! malgré mes douleurs, mes peines, mes ennuis,

Mon funèbre délire,
Ceux qui font mon malheur ! pendant mes longues nuits,

Je ne puis les maudire !

Croyez-vous, malheureux ! que l’on n’ait pas un cœur,

Que l’on n’ait rien dans l’âme !
Qu’on puisse sans envie assister au bonheur !

Que l’on ne soit pas femme !

Je n’étais près de vous ! au sein de vos salons
Qu’une vaine poupée !

Pour votre fille un jeu, jeu de toutes saisons,
Elle s’est amusée !

Amusée avec moi ! maintenant que l’hymen

Avec l’amour l’entraîne !
Vous n’avez pas senti que j’allais sans retour

Laisser une autre mère !

Que dans ces tristes lieux, pleins d’angoisse, de croix !

Où l’horreur me confine !
J’allais abandonnéeI, une seconde fois

Me trouver orpheline.

Que mon cœur qui comprit, tranquille en l’avenir,
Ces plaisirs pleins de charmes,

En songeant au bonheur qu’il ne peut plus sentir,
Va s’abreuver de larmes !

Je vivais triste, avant que votre cruauté

M’arrachât à mon cloître,
Après tout ce plaisir que par vous j’ai goûté,

Mon malheur va s’accroître !

Je vais jusqu’à la mort au milieu des douleurs

Y végéter sans cesse,
Je n’aurai plus des yeux que » pour verser des pleurs,

Qu’un cœur pour la tristesse !

O nobles ! certain jour, vous eûtes pitié

De mon obscure vie.
Je sais ce qu’elle vaut !
De notre amitié

Oh ! je vous remercie !

Oh ! mon
Dieu, qui pourrait me rendre à l’univers

Et me rendre à sa joie,
A tous ses paradis, ses anges, ses concerts !

Que mon âme s’y noie !

Mais non ! il faut pleurer, sans pitié souffrir,

Souffrir sans espérance !
Pour moi, sous ces arceaux où je devrai mourir,

L’éternité commence !

Adieu, mon si beau lac, son ombrage enchanteur,

Et sa verte parure,
L’humidité suffit pour me ternir le cceur,

Me flétrir la figure !

Adieu, mon si bel arbre, et mon brillant soleil,

Et ses astres sans nombre,
Je n’aurai plus besoin de ton regard vermeil,

Il ne faut que de l’ombre !

J’étais seule sur terre, où je ne vivais pas,

Faible fleur sans racine,
Et des nobles cruels, que je connus, hélas !

M’ont refaite orpheline !