Les Nymphes sur la neige
Jules Lefèvre - Deumier

Poème Les Nymphes sur la neige

Hibernas juvat exercere palestras.
C. CALCAGNINUS.



Déjà depuis deux jours la piquante froidure
Enchaînait des ruisseaux la course et le murmure ;
Et les troupeaux frileux, chassés par la saison,
Semblaient avoir aux champs oublié leur toison :
Il neigeait. Méloenis, blanche fille de l’Onde,
Au-dessus des glaçons levant sa tête blonde,
Éveille, par ses cris, les Nymphes des forêts,
Celles qui sous les eaux dérobent leurs attraits,
Et celles qui, suivant la vierge chasseresse,
Portent, de monts en monts, leur arc et leur adresse.
Accourez, leur dit-elle, et tandis qu’Apollon,
Guidant son char de feu loin de ce froid vallon,
De nos teints immortels ne peut brunir l’ivoire,
D’un combat pacifique essayons la victoire.
Vers la plaine, à ces mots, elle voit se hâter
Les nombreux bataillons qu’elle, vient d’exciter,
Et de leurs blancs guerriers l’innocente famille
Sur la neige honteuse, en riant, s’éparpille.
En globes mollissans l’albâtre s’arrondit ;
Sous ses armes bientôt chaque guerrier bondit ;
Sur le luth de Lesbos, où sa main se promène,
Le signal est donné par la docte Eurymène ;
La bataille s’engage, et feignant le courroux,
Les Nymphes à l’envi lancent d’humides coups.
Leur gorge, en repoussant le tissu qui la cache,
Ouvre un libre passage aux blessures sans tache.
Théone, enfant des mers, presque soeur de Cypris,
Va frapper de Cyrrha le visage surpris,
Et d’un rouge un peu pâle y jette le nuage ;
Telle au milieu du lait une rose surnage.
La Nymphe se prépare à venger cet affront,
Et sa main qui se courbe au-dessus de son front,
De Théone qui fuit menace au loin la fuite.
De la neige guerrière esquivant la poursuite,
Elle tombe : Zéphire, invisible et malin,
Soulevant en replis sa tunique de lin,
Révèle de son corps la blancheur ravissante ;
Théone, aux pieds ailés se lève rougissante,
Et d’un long rire entend retentir les éclats.
Cyrrha contre elle encore avait levé son bras ;
D’Opis, en ce moment, la ruse inattendue
L’arrête, et la menace expire suspendue.
La Nymphe se retourne, ardente à se venger,
Long-temps aux yeux d’Opis présente le danger,
Et suppliante en vain, l’inonde de ses armes.
Eurymène voyant s’échauffer les alarmes,
De la paix sur son luth veut donner le signal :
Un trait qui vient mourir sur son front virginal
Déroule en se fondant l’or bouclé de ses tresses
Que font du mol Eurus voltiger les caresses ;
Et la Nymphe incertaine où diriger ses pas,
Voit partout l’ennemi qu’elle ne connaît pas..
De son col gracieux Eucharis était fière ;
Calypso l’a blessé de sa Manche poussière.
Phléga, sous un cyprès, médite Ses assauts,
Et Lycoris l’attaque et fuit dans les roseaux.
Derrière un coudrier Nysa qui se dérobe,
Sent la neige d’Hellé se glisser sous sa robe.
On voit de toutes parts courir les combattans,
L’un l’autre s’aveugler de leurs cheveux flottans,
Et se faire au hasard des attaques peu sûres :
De ris et de baisers on mêle les blessures ;
Des vaincus qu’on poursuit, les cris vont jusqu’aux cieux
Egayer le nectar sur la lèvre des Dieux.
Dans l’arbrisseau natal les Dryades craintives,
S’empressent à cacher leurs terreurs fugitives :
Et les autres guerriers, par un adroit chemin,
Avec les traits glacés qui rougissent leur main,
Sous ces abris noueux, assiègent leurs compagnes.
Les combats plus bruyans agitent les campagnes ;
Les Faunes, enflammés d’un espoir curieux,
Les Sylvains, secouant le sommeil de leurs yeux,
Se lèvent tous d’accord, et tous d’un long silence,
De leurs pas libertins couvrant la pétulance,
Au seuil de leurs forêts se montrent à la fois ;
La Pudeur qui gémit sent défaillir sa voix.
Heureuse est la vertu des Dryades craintives,
Dont l’écorce a caché les terreurs fugitives.

Paris. Janvier 1819.