Complainte des grands pins dans une villa abandonnée
Jules Laforgue

Poème Complainte des grands pins dans une villa abandonnée

À Bade.

Tout hier, le soleil a boudé dans ses brumes,
Le vent jusqu'au matin n'a pas décoléré,
Mais, nous point des coteaux là-bas, un oeil sacré
Qui va vous bousculer ces paquets de bitume !

-Ah ! Vous m'avez trop, trop vanné,
Bals de diamants, hanches roses ;
Et, bien sûr, je n'étais pas né
Pour ces choses.

-Le vent jusqu'au matin n'a pas décoléré.
Oh ! Ces quintes de toux d'un chaos bien posthume,

-Prés et bois vendus ! Que de gens,
Qui me tenaient mes gants, serviles,
A cette heure, de mes argents,
Font des piles !

-Délayant en ciels bas ces paquets de bitume
Qui grimpaient talonnés de noirs misérérés !

-Elles, coudes nus dans les fruits,
Riant, changeant de doigts leurs bagues ;
Comme nos plages et nos nuits
Leur sont vagues !

-Oh! Ces quintes de toux d'un chaos bien posthume,
Chantons comme Memnon, le soleil a filtré,

-Et moi, je suis dans ce lit cru
De chambre d'hôtel, fade chambre,
Seul, battu dans les vents bourrus
De novembre.

-Qui, consolant des vents les noirs misérérés,
Des nuages en fuite éponge au loin l'écume.

-Berthe aux sages yeux de lilas,
Qui priais Dieu que je revinsse,
Que fais-tu, mariée là-bas,
En province ?

-Memnons, ventriloquons ! Le cher astre a filtré
Et le voilà qui tout authentique s'exhume !

-Oh ! Quel vent ! Adieu tout sommeil ;
Mon dieu, que je suis bien malade !
Oh ! Notre croisée au soleil
Bon, à Bade.

-Il rompt ses digues ! Vers les grands labours qui fument !
Saint sacrement ! Et labarum des nox irae !

-Et bientôt, seul, je m'en irai,
A Montmartre, en cinquième classe,
Loin de père et mère, enterrés
En Alsace.