Si j’avais, sous ma mantille
Jules Barbey D'aurevilly

Poème Si j’avais, sous ma mantille

Si j’avais, sous ma mantille,
Cet oeil gris de lin,
Et cette svelte cheville
Dans mon svelte brodequin ;

Si j’avais ta morbidesse,
Tes cheveux dorés,
Retombant en double tresse
Jusque sur mes reins cambrés !

Si j’avais, ô ma pensée,
Dans mon corset blanc,
Ta blonde épaule irisée
D’un duvet étincelant !

.
.
.
.

Enfin si je semblais faite
Pour donner la loi,
Je serais une coquette
Plus coquette encor que toi !

Je voudrais être une reine
Fière comme un paon,
Dont on aurait grande peine
A baiser le bout du gant.

Je ne serais pas de celles,
Froides à moitié,
Qui, d’abord, font les cruelles,
Et puis après ont pitié.

Je serais une tigresse,
Rebelle aux amours,
Cachant la griffe traîtresse
Dans ma patte de velours !

Je ferais souffrir aux âmes
Mille bons tourments,
Et je vengerais les femmes
De tous leurs fripons d’amants ;

Et sans l’éventail qui cache
Deux beaux yeux moqueurs,
Je rirais, sur leur moustache,
De leur flamme et de leurs pleurs ;

Et je passerais ma vie
A les désoler,
Et je serais si jolie
Qu’il leur faudrait bien m’aimer !

Et puis, si d’aimer l’envie
Un jour me prenait,
Je n’aurais de fantaisie
Que pour celui qui dirait :

Si comme toi j’étais faite
Pour donner la loi,
Je serais une coquette,
Plus coquette encor que toi !

Aime-moi donc, ma Paulette,
O mon blond trésor !
Aimer un fat ? toi, coquette !
Ce sera t’aimer encor !