Oh ! pourquoi voyager ?
Jules Barbey D'aurevilly

Poème Oh ! pourquoi voyager ?

Oh ! pourquoi voyager ? as-tu dit. C’est que l’âme
Se prend de longs ennuis et partout et toujours ;
C’est qu’il est un désir, ardent comme une flamme,
Qui, nos amours éteints, survit à nos amours !
C’est qu’on est mal ici ! ? Comme les hirondelles,
Un vague instinct d’aller nous dévore à mourir ;
C’est qu’à nos coeurs, mon Dieu ! vous avez mis des ailes.
Voilà pourquoi je veux partir !

C’est que le coeur hennit en pensant aux voyages,
Plus fort que le coursier qui sellé nous attend ;
C’est qu’il est dans le nom des plus lointains rivages
Des charmes sans pareils pour celui qui l’entend ;

Irrésistible appel, ranz des vaches pour l’âme
Qui cherche son pays perdu ? dans l’avenir ;
C’est fier comme un clairon, doux comme un chant de femme.
Voilà pourquoi je veux partir !

C’est que toi, pauvre enfant, et si jeune et si belle,
Qui vivais près de nous et couchais sur nos coeurs,
Tu n’as pas su dompter cette force rebelle
Qui nous jeta vers toi pour nous pousser ailleurs !
Tu n’as plus de mystère au fond de ton sourire,
Nous le connaissons trop pour jamais revenir ;
La chaîne des baisers se rompt, ? l’amour expire
Voilà pourquoi je veux partir !

En vain, tout en pleurant, la femme qui nous aime
Viendrait à notre épaule agrafer nos manteaux,
Nous resterions glacés à cet instant suprême ;
A trop couler pour nous des pleurs ne sont plus beaux.
Nous n’entendrions plus cette voix qui répète :
Oh ! pourquoi voyager ? dans un tendre soupir,
Et nous dirions adieu sans retourner la tête.
Voilà pourquoi je veux partir !

Oh ! ne m’accuse pas ; accuse la nature,
Accuse Dieu plutôt, ? mais ne m’accuse pas !
Est-ce ma faute, à moi, si dans la vie obscure
Mes yeux ont soif de jour, mes pieds ont soif de pas ?
Si je n’ai pu rester à languir sur ta couche,
Si tes bras m’étouffaient sans me faire mourir,
S’il me fallait plus d’air qu’il n’en peut dans ta bouche
Voilà pourquoi je veux partir !

Pourquoi ne pouvais-tu suffire à ma pensée
Et tes yeux n’être plus que mes seuls horizons ?
Pourquoi ne pas cacher ma tête reposée
Sous les abris d’or pur de tes longs cheveux blonds ?
Comme la jeune épouse endormie à l’aurore,
La fleur d’amour, comme elle, au soir va se rouvrir
Mais si l’amour n’est plus, pourquoi de l’âme encore ?
Voilà pourquoi je veux partir !

Tu ne la connais pas, cette vie ennuyée,
Lasse de pendre au mât, avide d’ouragan.
Toi, tu restes toujours, sur ton coude appuyée,
A voir stagner la tienne ainsi qu’un bel étang.

Restes-y ! Mon amour fut l’ombre d’un nuage
Sur l’étang ; ? le soleil y reviendra frémir !
Tu ne garderas pas trace de mon passage
Voilà pourquoi je veux partir !