À Jan Dorat
Jean-Antoine de Baïf

Poème À Jan Dorat

Dorat, d’une certaine main,
Osant emprises malaisees,
Dans le pré Gregeois et Romain,
Tu triras les fleurs mieux prisees
Pour t’en lier un chapeau rond,
Ornement à ton docte front.
Moy que l’Apollon étranger
Autant que toy ne favorise,
Me chargeant d’un faix plus legier
Je suivray ma basse entreprise,
Sans mes nerfs lasches employer,
À ce qui les face ployer.
Peut estre qu’avec l’âge un jour
Les neuf Sœurs me feront la grace,
Que de me donner à mon tour,
Dorat, non la derniere place,
Entre vous qui d’un oser beau
Vous ceignez d’étranger chapeau.
Tandis ma force cognoissant,
Non le dernier de nos Poëtes,
Ains de pres les premiers pressant,
Les chansons que jeune j’ay saittes
Par les François je chanteray,
Et tes honneurs je ne teray.
À peine estant hors du berceau
Je ne teray qu’en mon ensance,
Au bord du chevalin ruisseau
J’allay voir des Muses la dance,
Par toy leur saint Prestre conduit
Pour estre à leurs festes instruit.
Là tour à tour les saintes Sœurs,
Qu’ainsi comme Apollon leur guide,
Sous tes ravissantes douceurs,
Du long de l’onde qui se ride,
Tu conduis cueillans des rameaux
En leurs lauriers tousjours nouveaux :
En vindrent aplanir mon chef,
Deslors m’avouant pour leur prestre,
Que guarenti de tout mechef,
Fait grand depuis je devois estre :
Car puis le tems que je les vy
Autre mestier ne m’a ravy.
Tousjours franc depuis j’ay vescu
De l’ambition populaire,
Et dans moy s’est tapy vaincu
Tout ce qui domte le vulgaire :
Et confiant aupres de leur bien
Je n’ay depuis estimé rien.
Pres de leurs dons j’ay méprisé
Tout ce que le commun honore,
L’honneur et le bien tant prisé
Et tout ce que le monde adore :
Pauvre et libre j’ay mieux voulu
Poursuivre leur mestier eslu.
Volant par le Gaulois païs,
Jeune de ma louable emprise,
J’ay mieux voulu rendre ébahis
Ceux-là dont la voix m’autorise,
Desquels si gloire je reçoy,
La plus part, Dorat, est à toy.
Et que sert monceaux amasser
D’or et d’argent, quand nostre vie
Fresle et verrine à se casser
N’en permet jouyr ? quelle envie,
Aveugles avaricieux,
Vous ronge vos cœurs vicieux ?
Ah chetifs ! ne sentes-vous pas
La pale mort triste-riante
Qui vous talonne pas à pas,
Et de tous vos biens vous absente ?
Et que porterez-vous au cercueil
Fors un miserable linceuil ?
Seul linceuil, que le fossoyeur
Ne lairra pas pourrir ensemble
Quant et vous ! sur qui, ô douleur !
Un tas de vers desja s’assemble :
Mais qu’avous au monde acquesté,
Qui témoigne qu’ayez esté?
Ô que l’homme est bien plus heureux,
Qui tient à mépris vos richesses :
Et jouit du bien doucereux
Qu’élargissent les neus Deesses.
Tandis que du jour jouissez
Semblables à l’or palissez.
Mais nous pendant que nous arons
Respit de la Parque gloutonne,
Vaincueurs malgré les ans larrons,
Nous nous tordrons une couronne,
Dont le fueillage verdissant
Pour l’âge n’ira fletrissant.