Heureux Médor, si j’ai bonne mémoire,
Je t’ai connu jadis maigre et hideux ;
Chien sans pâtée, et poëte sans gloire,
Dans le ruisseau nous barbotions tous deux.
Lorsqu’à mes chants si peu d’échos s’émeuvent,
Lorsque du ciel mon pain tombe à regret,
À tes abois Dieu sourit, les os pleuvent :
Chien parvenu, donne-moi ton secret.
Aux chiens lépreux, oui, le malheur m’égale :
Battu des vents, par la foule outragé,
Si je caresse, on a peur de la gale ;
Si j’égratigne, on m’appelle enragé.
Pour qu’au bonheur je puisse enfin renaître,
Dieu sait pourtant qu’un peu d’or suffirait ;
Bien peu… celui de ton collier peut-être :
Chien parvenu, donne-moi ton secret.
J’eus comme toi mes longs jours de paresse,
Un lit moelleux et de friands morceaux ;
J’ai frissoné sous plus d’une caresse,
D’abois moqueurs j’ai talonné les sots.
Puis dans la foule où l’on pousse, où l’on beugle,
J’ai vu s’enfuir Plutus qui s’égarait :
Pour devenir le chien de cet aveugle,
Chien parvenu, donne-moi ton secret.
Aux dominos sais-tu comment l’on triche ?
Nouveau Pâris, arbitre de beauté,
As-tu donné la pomme à la plus riche,
Fait le gentil, fait le mort, ou sauté ?
Ton sort est beau : moi, chien d’humeur bizarre,
Pour égayer le Riche à son banquet,
Je ne sais rien… rien que flatter Lazare :
Chien parvenu, donne-moi ton secret.
Tombé, dit-on, dans un pays de fées,
Dont la laideur mit le peuple en émoi,
On essuya tes pattes réchauffées,
De blanches mains te bercèrent ; mais moi !…
Chien trop crotté pour que la beauté m’aime,
Si j’entrais là, le pied me balaîrait,
Hué de tous, et mordu par toi-même :
Chien parvenu, donne-moi ton secret.