La rose de l’absent
Gaston Couté

Poème La rose de l’absent

Le beau chevalier était à la guerre…
Le beau chevalier avait dit adieu
A sa dame aimée, Anne de Beaucaire
Aux yeux plus profonds que le grand ciel bleu.

Le beau chevalier, à genoux près d’elle,
Avait soupiré, lui baisant la main :
 » Je suis tout à vous ! soyez-moi fidèle ;
A bientôt !… je vais me mettre en chemin.  »

Anne répondit avec un sourire :
 » Toujours, sur le Christ ! je vous aimerai,
Emportez mon coeur ! allez, mon beau sire,
Il vous appartient tant que je vivrai.  »

Alors, le vaillant, tendant à sa dame
Une rose blanche en gage d’amour,
S’en était allé près de l’oriflamme
De son Suzerain, duc de Rocamour.

Le beau chevalier était à la guerre…
Anne, la perfide aux yeux de velours,
Foulant son naÏf serment de naguère,
Reniait celui qui l’aimait toujours ;

Et, sa blanche main dans les boucles folles
D’un page mignard, elle murmurait
Doucement, tout bas, de tendres paroles
A l’éphèbe blond qui s’abandonnait.

Mais, soudain, voulant respirer la rose
Du fier paladin oublié depuis,
Elle eut peur et vit perler quelque chose
De brillant avec des tons de rubis.

Cela s’étendait en tache rougeâtre
Sur la fleur soyeuse aux pétales blancs
Comme ceux des lis et comme l’albâtre…
La rose échappa de ses doigts tremblants ;

La rose roula tristement par terre…
Une voix alors sortit de son coeur ;
Cette voix était la voix du mystère,
La voix du reproche et de la douleur.

 » Il est mort, méchante, il est mort en brave !
Et songeant à toi, le beau chevalier ;
Son âme est au ciel, chez le bon Dieu grave
Et doux, où jamais tu n’iras veiller ;

Où tu n’iras pas, même une seconde,
Car ta lèvre doit éternellement
Souffrir et brûler, par dans l’autre monde,
Au feu des baisers d’un démon méchant…  »

Et la voix se tut sous le coup du charme,
La fleur se flétrit, Anne, se baissant
N’aperçut plus rien, plus rien qu’une larme
Avec une goutte épaisse de sang.