Enfants trouvées
François Coppée

Poème Enfants trouvées

I

Dans les promenades publiques,
Les beaux dimanches, on peut voir
Passer, troupes mélancoliques,
Des petites filles en noir.

De loin, on croit des hirondelles :
Robes sombres et grands cols blancs ;
Et le vent met des frissons d’ailes
Dans les légers camails tremblants.

Mais quand, plus près des écolières,
On les voit se parler tout bas,
On songe aux étroites volières
Où les oiseaux ne chantent pas.

Près d’une soeur, qui les surveille
En dépêchant son chapelet,
Deux par deux, en bonnet de vieille,
Et les mains sous le mantelet,

Les cils baissés, tristes et laides,
Le front ignorant du baiser,
Elles vont voir, pauvres coeurs tièdes,
Les autres enfants s’amuser.

Les petites vont les premières ;
Mais leur regard discipliné
A perdu ses vives lumières
Et son bel azur étonné.

Les pieuses et les savantes
Ont un maintien plus glacial ;
Toutes ont des mains de servantes,
L’oeil sournois et l’air trivial.

Car ces êtres sont de la race
Du vice et de la pauvreté,
Qui font les enfances sans grâce
Et les tristesses sans beauté.

II

Les berceaux ont leurs destinées !
Et vous ne les avez pas vus,
Les fronts de mères inclinées
Comme la Vierge sur Jésus.

Vos sombres âmes stupéfaites,
Enfants, ne se rappellent pas
La chambre joyeuse, les fêtes
Du premier cri, du premier pas,

La gambade faite en chemise
Sur le tapis, devant le feu,
La gaîté bruyante et permise,
Et l’aïeule qui gronde un peu.

― Pourtant ce qui vous fait, si jeunes,
Pareilles aux fleurs des prisons,
Ce ne sont ni les rudes jeûnes,
Ni les pénibles oraisons :

Ces graves filles, vos maîtresses,
Vous pouvez leur dire :  Ma soeur ! 
Sans amour tendre ni caresses,
Elles ont du moins la douceur ;

Une de ces vierges chrétiennes
Joint tous les jours, souvenez-vous,
Vos petites mains sous les siennes,
En vous tenant sur ses genoux ;

Et sa voix, bonne et familière,
Vous fait répéter chaque soir
Une belle et longue prière
Qui parle d’amour et d’espoir.

III

Sombres enfants qui, sur ma route,
Allez, le front lourd et baissé,
Je crains que vous n’ayez le doute
Effrayant de votre passé ;

Que dans votre âme obscure, où monte
Le flot des vagues questions,
Vous ne sentiez frémir la honte,
Source des malédictions ;

Et que, par lueurs éphémères,
Votre esprit ne cherche à savoir
Si vraiment sont mortes vos mères,
Pour qu’on vous habille de noir !

― Si ce doute est votre souffrance,
Ah ! que pour toujours le couvent
Dans la plus étroite ignorance
Mure votre coeur tout vivant !

Que par les niaises pratiques
Et les dévotions d’autel,
Par le chant des fades cantiques
Et la lecture du missel,

Par la fatigue du cilice,
Par le chapelet récité,
A ce point votre âme s’emplisse
D’enfantine crédulité,

Que, ployant sous les disciplines
Et mortes avant le cercueil,
Vous vous sentiez bien orphelines
En voyant vos habits de deuil !