Accoudé sur l'enclume,
Wieland rêve à son rêve
Dont l'ardeur le consume
Et sa lâcheté l'achève
En un mensonge de fièvre ;
Il est faible à pleurer ;
Longtemps il est demeuré
A rebâtir son espoir;
Et quand brunit le soir,
Il retrouva sa force
Et alluma sa torche.
Alors il contempla l’oeuvre de sa joie
Qui brûlait du reflet de la flamme ;
Et, s'il avait douté, il eut foi en son âme,
Il se crut très heureux et s'écria joyeux :
Ervare s'est fondue en l'idée!
Le but est atteint où sa joie me guidait.
La torche brûlait bas,
Il enflamma une autre
Et jeta au foyer un grand fagot de frêne ;
Puis, se sentant très las,
Il étendit son manteau de laine
Et s'y roula, frileux, près de l'âtre;
Mais rêvant de l'Ervare,
Yeux mi-clos, ébloui aux rayons du foyer,
Il s'endormit crédule
Au rêve qu'il la voyait.
La première neige blanchit le crépuscule.
Ailleurs, près du lac aux eaux sombres,
A l'heure où les ombres sont longues
Et s'allègent, croisées par les rayons obliques,
Que le soleil déclive lance au soir qui le suit.
Les trois soeurs, ô musique!
Sont debout sur le seuil de la nuit.
Main dans la main, immobiles,
Au lieu où se croisent
Tant de sentiers étroits
Que le sol est sans mousse.
Au lieu où se croisent mille pas, mille et mille.
Contre l'ombre du bois derrière elles,
Elles surgissent blanches en leur parure ailée,
Blanches et belles,
Sur le seuil en deuil de la forêt rouillée
Belles et telles
Qu'au clair soleil doré,
Dans matin lointain de ce doux jour mortel
Elles accordent leurs voix
Comme une harpe aux trois cordes,
Aux trois cordes d'or ;
Elles accordent leurs voix les mêlant sans effort,
Les mêlant comme on tresse
Trois boucles blondes, trois échevaux d'or ;
Elles enlacent leurs voix et les mêlent :
L'une, puis l'autre, chante ;
Lodrune, et l'Oline et l'Ervare,
Elles chantent toutes trois
La chanson éternelle,
La chanson des étés, des baisers et des joies :
Nous serons comme les feuilles
Dans le vent, là-bas, sur la mer ;
Que feront-ils de l'orgueil
D'avoir connu notre chair ?
Nous serons comme les cygnes, encore!
Dans le vent, là-bas, vers le Sud ;
Que feront-ils de nos baisers morts
Aux heures de leur solitude ?
Nous serons des nuées ou des flocons d'écume,
Tout là-bas, où le ciel et la mer vont s'unir ;
Que feront-ils de cette amertume
Qu'ils appellent souvenir ?
Slafide s'en ira par la forêt blanche
Traquer d'autres proies;
Qu'importe qu'il ait ri; va-t-il pleurer sa chance,
Cette fois?
Égile s'en ira où la flèche le devance
Ramasser quelque oiseau blessé ;
Crois-tu qu'il va pleurer lui qui riait d'avance
De se voir délaissé ?
De l'orgueil de la chair et des baisers morts
On brasse l'Oubli, le breuvage des forts.
Mais Wieland, tu l'as pris !
Il se détournait; tu l'as pris, de tes bras!
O si vite! tu l'a pris de tes bras!
Tu l'as pris de ta bouche ;
Tu lui parlais tout bas?
Tu l'as pris, de tes lèvres, en un baiser de joie.
Tu t'es mise en sa couche!
Et tu l'as quitté en refermant sa porte!
Et que dira Wieland ?
Ah ! n'importe!
Quelle vanité que ces rires d'été,
Et son pauvre espoir de survivre!
Il n'est pas d'écho pour le chant qu'il jetait
Vers la mer sans rives
D'éternité;
Pouvait-il espérer nous suivre?
Quelle tristesse, soeurs, de le voir crédule
A des serments que nulle ne lui fit;
Que pourra-t-il dire dans le crépuscule
De la longue nuit?
Eh qu'importe de lui souvenir, oubli -
Quand ils l'auront lié
Sur l'enclume rouillée,
Auprès de sa forge refroidie?
N'a-t-il eu son été ?
Et l'orgueil des midis ?
Et qu'en a-t-il fait?
Qu'importe de lui dans la longue nuit?
Qu'importe de lui dans l'éternité?
Nous sommes telles que les feuilles
Que le vent d'automne cueille
- Qui peut faire et défaire les jours ? -
Nous sommes telles que les cygnes ;
Leur pâle essor nous fait signe ;
La nuit s'en vient et le jour se résigne
- Qu'espéraient-ils de l'amour ? -
Nous sommes comme une écume
Au large de la mer éternelle ;
Qu'importe ce que nous fûmes;
Nous sommes de blanches ailes
Et sur l'envergure nacrée
Elles passent, dans le vent, ailes grandes,
Chassées au long de l'horizon,
Là-bas,
Comme un nuage rose
Puis frangé d'amaranthe
Et mauve,
Contre le couchant d'or
La nuit se lève alors,
Et la mer se lamente,
Et la neige incertaine
Se met à tomber doucement sur la plaine.
Or Wieland sourit et s'endort.
Roulé dans son manteau de peine;
11 rêve sa vie accomplie ;
11 vit son rêve;
La force de sa main s'est assouplie
Et voici que le diadème se parachève
D'un feu que rayonne la Beauté vive!
L'éclat de la couronne s'étouffe aux cheveux blonds;
Il en vient à douter
Si l'or né de la chair ne va fondre à sa flamme,
Ce métal imparfait dont il para la femme,
Et s'il n'a façonné un diadème indigne
De tant de royauté
Car la fille-cygne
Rit haut de sa voix claire,
Qui trille et monte!
Wieland en est meurtri jusqu'en sa chair,
Pousse un soupir et désespère.
Et s'éveille à la honte
Car ainsi va le conte :
Cependant que Wieland rêvait de son art,
D'aucunes gens du roi de Scanie, Nodune,
Vinrent à passer par là sur le tard,
Les cuirasses cloutées brillaient au clair de lune
Mais leurs pas s'étouffaient dans la neige neuve ;
Or, sachant que Wieland ne forgeait plus d'épées,
Ils s'en vinrent, curieux de son oeuvre,
L'épier par les fentes de sa porte fermée,
lis virent à la flamme de la torche mi-consumée
Le diadème d'or et Wieland qui dormait.
Ils l'ont lié de chaînes et l'ont chargé d'entraves
Et l'ont mené esclave,
Jusqu'en Scanie, au roi
Qui ne lui laissa la vie, à son choix,
Qu'en retour des armes qu'il forgera;
Son adresse est notoire.
Il le mit dans une île,
En face de sa ville.
Et lui fournit du fer et du pain
Et parfois de la bière.
Ainsi vint son hiver.