Wieland écoute et entend
Francis Vielé-Griffin

Poème Wieland écoute et entend

L'ombre, avant l'heure, se glisse
Sous les solives saures et basses,
Sur l'établi large et lisse,
Sur les mains qui s'y posent lasses ;
Il semble que le jour finisse.
Alors qu'au dehors
D'autres vont partir pour la chasse

Comme l'Alvitte dort!
Que ne s'éveille-t-elle ?
Pourquoi dort-elle encor ?
Sans doute, elle se disait très lasse ;
Wieland écoute son sommeil

Il écoute : le vent passe ; il écoute
Le vent passe et pleure et se plaint
Comme un cor
Qui sanglote et s'éteint
Tout au loin,
Ou si près!
Une flèche qui siffle à l'oreille

L'Alvitte sommeille :
Par delà le rideau de la couche,
Il guette un son léger ;
N'est-ce le souffle de sa bouche
Harmonieux, égal et parfumé ?
Il écoute, il doute

Soudain!
Éclate la voix de Slafîde au dehors,
Mêlée en un cri au vent du Nord :

Wieland es-tu là ?
Que t'importe? laisse et passe!
Pense Wieland, en un souffle, énervé;
Car ses frères qu'il évite
Sont jaloux de l'Alvitte
Et se rient de son oeuvre rêvé.

Mais Égile crie plus fort :
Que te disais-je, Wieland ?
Elles nous quittent !
Elles se sont envolées ;
La saison nous les devait voler :
Le vent les apporta et le vent les emporte!
Il fait froid.

Et il frappe à la porte :
Vas-tu laisser ta lime ? N'est-elle encore usée ?
Et rallumer ta forge devant l'enclume claire ?
Nous nous y chauffions, tous trois, comme des rois,
L'autre hiver ;
Ouvre, Wieland, aux frères!
Passe au large! souffle-t-il à voix basse.
Il est fou !

Mais Wieland en est pâle :
Leur chanson aux mots lourds
Sonne au seuil comme un deuil :
C'est fini la saison des amours !
D'un grand geste fébrile
IL écarte le rideau de feutre
L'Alvitte n'est pas là ! que sait-il ?
Il écoute :
Viens, Wieland, chante encore avec nous
Le vieux refrain d'automne ;
Tu l'as chanté l'antan ; es-tu sourd ?
C'est fini la saison des amours
Wieland serre sur son coeur le manteau de sa peine;
11 est lourd!
Wieland ! on entend ton haleine;
Vas-tu parler enfin ? réponds-nous
Es-tu fou ?
Il est mort!
Mais Wieland, de voix forte :
Passe au large! elle dort
Il est pâle comme un mort,
Son âme est comme une morte

Bien du bonheur tous deux!
Car l'Oline est partie sans adieux,
Et Lodrune est partie sans rien dire ;
Nous n'aurions rien trouvé de mieux ;
Elles auraient pu faire pire ;
Nous nous sentons si légers, tous deux ;
Il semble qu'elles nous aient laissé
Leurs ailes !
Il riait.
Vas-tu laisser ta belle ?
Viens chanter avec nous :
C'est fini la saison des baisers
Il va neiger, Wieland,
On se sent si léger.

En chasse! crie Slafide. Il est fou!
Laissons-les.
Au moins, forge-nous de l'acier;

Laisse l'or, prends du fer :
C'est fini la saison de ne rien faire!

Et leur voix s'envola dans le vent
Qui s'en vient des glaciers.