L'Idiote aux cloches
Emile Nelligan

Poème L'Idiote aux cloches

I

Elle a voulu trouver les cloches
Du Jeudi-Saint sur les chemins ;
Elle a saigné ses pieds aux roches
À les chercher dans les soirs maints,
Ah ! lon lan laire,
Elle a meurtri ses pieds aux roches ;
On lui disait : Fouille tes poches.
- Nenni, sont vers les cieux romains :
Je veux trouver les cloches, cloches,
Je veux trouver les cloches
Et je les aurai dans mes mains ;
Ah ! lon lan laire et lon lan la.
II

Or vers les heures vespérales
Elle allait solitaire, au bois.
Elle rêvait des cathédrales
Et des cloches dans les beffrois ;
Ah ! lon lai laire,
Elle rêvait des cathédrales,
Puis tout à coup, en de fous râles
S'élevait tout au loin sa voix :
Je veux trouver les cloches, cloches,
Je veux trouver les cloches
Et je les aurai dans mes mains ;
Ah ! lon lan laire et lon lan la.
III

Une aube triste, aux routes croches,
On la trouva dans un fossé.
Dans la nuit du retour des cloches
L'idiote avait trépassé ;
Ah ! lon lan laire,
Dans la nuit du retour des cloches,
À leurs métalliques approches,
Son rêve d'or fut exaucé :
Un ange mit les cloches, cloches,
Lui mit toutes les cloches,
Là-haut, lui mit toutes aux mains ;
Ah ! lon lan laire et lon lan la.