A Luc Durtain
Il y a d'autres poèmes
Que je projetais d'écrire.
J'aurais pu peupler ce livre
De pauvres oiseaux sanglants
Aux yeux pleins d'horreur;
De noirs oiseaux mutilés
Épuisant, tels que des feuilles,
Un vol au ras des ornières
Avant de mourir.
O potentats, gens de guerre
Qui nous teniez à merci !
Sombre engeance, vieux gendarmes.
Faux courage et faux honneur !
Je crois n'avoir jamais pu
Haïr pour mon propre compte,
Mais je m'étais bien promis
De chanter comme il convient
Pour tuer votre légende.
Et j'avais peur d'oublier !
Et j'avais peur d'oublier
Le visage des martyrs,
La lâcheté des méchants,
Telle angoisse et tel soupir,
Tel aspect et tel accent.
Hélas ! que n'ai-je oublié !
Et que n'ai-je à ranimer
Dans un long frémissement
Un à un des souvenirs
Repliés dans ma mémoire !
La guerre est encore vivante
Et pesante en moi comme un mal
Qu'on n'arrive pas à guérir !
La guerre est la tache grasse
Qui recouvre hier,
Mais si large et si nourrie
Qu'elle envahit le présent.
La guerre, ah ! je la refoule
En moi chaque jour ;
Une affreuse nostalgie
Me hante et m'étreint ;
J'attendrai d'en être libre
Pour ajouter à ce livre ;
Pour prêter ma voix au torrent
J'attendrai d'être loin de lui
Où qu'une herbe drue habite
Son lit asséché.
Je ne pourrais aujourd'hui
Qu'y retremper ma colère.
Mais la colère est impure et stérile,
Ne sait pas chanter, refuse les larmes
Et fait trop honneur à ce qui l'anime;
Son cri n'est pas celui qui délivre.
Amitié, amitié de tous mes amis,
Innombrable amitié de mes camarades,
Je tournerai mes yeux seulement vers ton visage ;
Il avait, dans l'âpre aventure
La tendresse de l'arc-en-ciel
Et déployait comme lui son sourire
Sur un ciel mauvais et plombé d'orage.
Je me délivrerai, amitié, en te chantant;
Vivace amitié toujours retrouvée
Dans tous les remous et à tous les vents !
Ah ! de quoi nos coeurs, dans ce long exil
Auraient-ils pu vivre, amitié, sans toi ?
Et sur quoi de certain, sinon sur toi
Pourrions-nous fonder aujourd'hui la joie.
L'inquiète joie, la fragile joie ?