Bergère qui gardiez les moutons à Nanterre
Et guettiez au printemps la première hirondelle,
Vous seule vous savez combien elle est fidèle,
La ville vagabonde et pourtant sédentaire.
Vous qui la connaissez dans ses embrassements
Et dans sa turpitude et dans ses pénitences,
Et dans sa rectitude et dans ses inconstances,
Et dans le feu sacré de ses embrasements,
Vous qui la connaissez dans ses débordements,
Et dans le maigre jeu de ses incompétences,
Et dans le battement de ses intermittences,
Et dans l’anxiété de ses longs meuglements,
Vous seule vous savez comme elle est peu rebelle,
La ville indépendante et pourtant tributaire.
Vous qui la connaissez dans le sang des martyrs
Et la reconnaissez dans le sang des bourreaux,
Vous qui l’avez connue au fond des tombereaux
Et la reconnaissez dans ses beaux repentirs,
Et dans l’intimité de ses chers souvenirs
Et dans ses fils plus durs que les durs hobereaux,
Et dans l’absurdité de ces godelureaux
Qui marchaient à la mort comme on ferait ses tirs,
Vous seule vous savez comme elle est jeune et belle,
La ville intolérante et pourtant libertaire.
Vous qui la connaissez dans ses gémissements
Et la reconnaissez dans ses inconsistances,
Dans ses atermoiements et dans ses résistances,
Dans sa peine et son deuil et ses désarmements,
Vous qui la connaissez dans ses mugissements
Et dans l’humilité de ses omnipotences,
Et dans la sûreté de ses inadvertances
Et dans le creux secret de ses tressaillements,
Vous seule vous savez comme elle est jouvencelle,
La ville incohérente et pourtant statutaire.
Vous qui la connaissez dans le luxe de Tyr
Et la reconnaissez dans la force de Rome,
Vous qui la retrouvez dans le coeur du pauvre homme
Et la froide équité de la pierre à bâtir,
Et dans la pauvreté de la chair à pâtir
Sous la dent qui la mord et le poing qui l’assomme
Et l’écrit qui la fixe et le nom qui la nomme
Et l’argent qui la paye et veut l’assujettir,
Vous seule vous savez combien elle est pucelle,
La ville exubérante et pourtant censitaire.
Vous qui la connaissez dans ses vieilles potences
Et la reconnaissez dans ses égarements,
Et dans la profondeur de ses recueillements,
Et dans ses échafauds et dans ses pestilences,
Et la solennité de ses graves silences,
Et dans l’ordre secret de ses fourmillements,
Et dans la nudité de ses dépouillements,
Et dans son ignorance et dans ses innocences,
Vous seule vous savez comme elle est pastourelle,
La ville assourdissante et pourtant solitaire.
Vous qui la connaissez dans ses guerres civiles
Et la reconnaissez dans ses égorgements,
Dans son courage unique et dans ses tremblements,
Dans son peuple sans peur et ses foules serviles,
Dans son gouvernement des hordes et des villes
Et dans la loyauté de ses enseignements,
Dans la fatalité de ses éloignements,
Dans l’honneur de sa face et dans ses tourbes viles,
Vous seule vous savez comme elle est colonelle,
La ville turbulente et pourtant militaire.
Vous qui la connaissez dans ses longues erreurs
Et la reconnaissez dans ses plus beaux retours,
Vous qui la connaissez dans ses longues amours
Et sa sourde tendresse et ses sourdes terreurs,
Et le commandement de ses lentes fureurs
Et le retournement des travaux et des jours,
Et le prosternement des palais et des tours,
Et le sang resté pur dans les mêmes horreurs,
Vous seule vous savez comme elle est maternelle,
La ville intempérante et pourtant salutaire.
Vous qui la connaissez dans le secret des coeurs
Et le sanglot secret de ses rugissements,
Dans la fidélité de ses attachements
Et dans l’humilité de ses plus grands vainqueurs,
Dans le sourd tremblement des plus ardents piqueurs
Et la foi qui régit ses accompagnements,
Et l’honneur qui régit tous ses engagements,
Et l’humeur qui régit ses plus grossiers moqueurs,
Vous seule vous savez comme elle est ponctuelle,
Votre ville servante et pourtant réfractaire.
Vous qui la connaissez dans ses secrets soupirs
Et dans les beaux regrets de ses arrachements,
Dans les roides rigueurs de ses empêchements,
Et dans le lent recul de ses longs avenirs,
Vous qui l’avez connue aux mains des triumvirs
Et la reconnaissez dans ses ménagements,
Jamais elle n’hésite au seuil de ses tourments
Et parfois elle hésite au seuil de ses plaisirs
Et seule vous savez comme elle est demoiselle,
La ville chancelante et jamais adultère.
Vous qui la connaissez dans le sang de ses rois
Et dans le vieux pavé des saintes barricades,
Et dans ses mardis-gras et dans ses cavalcades,
Et dans tous ses autels et dans toutes ses croix,
Vous qui la connaissez dans son pavé de bois
Teint du même carnage et dans ses embuscades
Et dans ses quais de Seine et dans ses estacades
Et dans ses dures moeurs et son respect des lois,
Vous seule vous savez comme elle est fraternelle,
La ville décevante et pourtant signataire.
Vous qui la connaissez dans la force des armes
Et dans la fermeté de ses relâchements,
Dans la sévérité de ses épanchements,
Dans sa muette angoisse et son fleuve de larmes,
Vous qui la connaissez dans ses sacrés vacarmes
Et dans la dureté de ses retranchements,
Et dans l’humilité de ses amendements,
Et sa sécurité dans les pires alarmes,
Vous seule vous savez comme elle est rituelle,
La ville défaillante et pourtant légataire.
Vous qui la connaissez dans les gamins des rues
Et dans la fermeté de ses commandements,
Dans la subtilité de ses entendements,
Dans ses secrets trésors et ses forces accrues,
Et dans ses vétérans et ses jeunes recrues,
Et dans la fixité de ses engagements,
Et dans la sûreté de ses dégagements,
Et dans le Pont-Royal et les énormes crues,
Vous seule commandez la haute caravelle,
La ville menaçante et la destinataire.
Vous qui la connaissez dans ses vieilles maisons
Et dans tous les faubourgs de ses prolongements,
Et dans tous les quartiers de ses morcellements,
Et dans l’antiquité de ses vieilles raisons,
Vous qui la connaissez dans ses beaux horizons
Et dans le sourd fracas de ses ébranlements,
Dans la sourde rumeur de ses assemblements,
Dans la porte et le mur de ses vieilles prisons,
Vous seule connaissez la flamme et l’étincelle,
La ville intelligente et pourtant volontaire.
Vous qui la connaissez dans ses vices patents
Et ses foyers cachés et ses vertus latentes,
Et dans ses longs espoirs et ses mornes attentes,
Et dans son municipe et dans ses habitants,
Vous qui la connaissez dans ses jours éclatants
Et dans le lourd immeuble et dans toutes ses tentes,
Et dans son vieux principe et dans ses mésententes,
Et dans son avarice et ses deniers comptants,
Vous seule vous savez qu’elle est sacramentelle,
La ville déférente et pourtant pamphlétaire.
Vous qui la connaissez dans ses pauvres misères
Et dans la vanité de ses accablements,
Dans la solidité de ses enchaînements,
Dans sa gendarmerie et dans ses garnisaires,
Vous qui la connaissez dans vos anniversaires,
Et dans le soir tombé de ses apaisements,
Dans la frivolité de ses amusements,
Et moins dans ses tenants que dans ses adversaires,
Vous seule vous savez comme elle est solennelle,
La ville éblouissante et pourtant grabataire.
Et quand aura volé la dernière hirondelle,
Et quand il s’agira d’un bien autre printemps,
Vous entrerez première et par les deux battants
Dans la cour de justice et dans la citadelle.
On vous regardera, comme étant la plus belle,
Le monde entier dira : C’est celle de Paris.
On ne verra que vous au céleste pourpris,
Et vous rendrez alors vos comptes de tutelle.
Les galopins diront : C’est une vieille femme.
Et les savants diront : Elle est de l’ancien temps.
Voici sa lourde ville et tous ses habitants.
Et voici sa houlette et le soin de son âme.
Vous vous avancerez dans votre antiquité.
On vous écoutera comme étant la doyenne
Et la plus villageoise et la plus citoyenne
Et comme ayant reçu la plus grande cité.
Seule vous parlerez lorsque tout se taira.
Et Dieu qui n’a jamais interloqué ses saints
Ni faussé sa parole et masqué ses desseins
Vous nommera sa fille et vous exaucera.
Car vous lui parlerez comme sa mandataire
Pour votre patronage et votre clientèle,
Et seule vous direz comme elle était fidèle,
La ville démocrate et pourtant feudataire.