En ces temps de vitesse et de nivellement,
De pouvoirs sans sommet comme sans fondement,
Où rien ne monte un peu qui soudain ne chancelle,
Il est encore, il est, tout au bas de l’échelle,
Un bien humble pouvoir, et qui n’a pas failli,
Qui s’est perpétué par-delà le bailli
Au maire, sans déchoir, c’est le maître d’école.
Et je ne veux pas faire un portrait sur parole,
Quelque idylle rêvée au retour de Longchamp,
Comme un abbé flatteur en son pastel changeant :
C’est le vrai. Tout village a son maire suprême,
Son curé dont le poids n’est plus partout le même,
Son médecin qui gagne Après, au-dessous d’eux
En un rang moins brillant, aussi moins hasardeux,
Est le maître d’école. Un maire a ses naufrages ;
Quelque Juillet arrive et veut de nouveaux gages ;
Dix ans, quinze ans peut-être, on garde son curé,
Mais l’évêque le tient et le change à son gré ;
Le magister demeure. Il n’a, lui, ni disgrâce
À craindre, ni rival. Le curé, face à face,
Voit croître chaque jour l’esprit-fort, le docteur.
Le docteur suit sa guerre avec le rebouteur,
Dont maint secret encor fait merveille et circule :
Plus d’un croit à l’onguent, sur le reste incrédule.
Le magister n’a rien de ces chétifs combats.
Et d’abord, il est tout : la règle et le compas,
La toise est dans ses mains; géomètre, il arpente
Et sait les parts autant que le notaire. Il chante
Au lutrin, et récite au long la Passion.
Secrétaire au civil, si quelque question
Arrive à l’improviste au nom du ministère :
Combien d’orge, ou de lin, ou de vin rend la terre ?
Le maire embarrassé lui dit : Voyez ! Il va,
Il rencontre un voisin, qui guère n’y rêva,
Et là-dessus le prend; l’autre répond à vue
De pays, et voilà sa statistique sue.
Le chiffre aussitôt part et remplit son objet ;
Il fait autorité, l’on en cause au budget.
Mais est-ce par hasard quelque inspecteur primaire,
Novice, qui de loin s’informe près du maire ?
C’est mieux : le magister tout d’abord en sait long,
Et lui-même à souhait sur lui-même répond.
Il ne se doute pas, d’aplomb dans sa science,
Qu’un jour de ce côté viendra sa déchéance ;
Que cet oeil scrutera ses destins importants ;
Il ne s’en doute pas ; qu’il l’ignore longtemps !
La marge est longue encore.