Les Fils de Prométhée
Armand Silvestre

Poème Les Fils de Prométhée

Eripuit cælo fulmen.


I

Devant les splendeurs d’un autre-âge,
Les siècles longtemps prosternés
Tendaient vainement leur courage
Vers la gloire de leurs aînés.
Les spectres de Rome et d’Athènes
Voilaient, de leurs ailes lointaines,
La route à la postérité
Et l’avenir demeuré sombre,
Cheminait, sans sortir de l’ombre
De l’héroïque antiquité !

Soudain, comme un souffle s’élève
Des bords pourprés de l’horizon,
Ou comme luit l’éclair d’un glaive
Sorti du fourreau, sa prison,
Plus farouche qu’une épopée
Et plus lumineux qu’une épée,
L’esprit moderne a resplendi,
Du bout de son aile sonore
Secouant des clartés d’aurore
Au front du vieux monde engourdi !

Quel réveil ! La science humaine,
Levant son flambeau rajeuni,
Par des chemins nouveaux ramène
L’âme au chemin de l’infini :
Tout navire emporte son hôte ;
La toison d’or de l’Argonaute
Se déchire aux mains des vainqueurs.
L’homme fouille jusqu’en son être,
Et la sainte ardeur de connaître
Brûle en même temps tous les coeurs !

Tout est conquis dans la nature :
Au ciel, restait à conquérir
Sa flamme redoutable et pure,
Le feu qui fait vivre et mourir !
Aigle s’envolant de son aire,
Volta lui ravit le tonnerre
Et l’apporte à l’humanité.
A servir l’homme condamnée,
Par lui la foudre est enchaînée
Et s’appelle Électricité !

Depuis ce jour que de merveilles
Évoque ce nom triomphant !
Quels trésors ont payé tes veilles,
Rival des dieux, humble savant !
Cette flamme à l’azur volée
Et, sous mille formes voilée,
A tous nos voeux obéissant,
Esclave douce et sans colère,
Aux flancs du Monde qu’elle éclaire
Circule comme un nouveau sang.

Par mille veines répandue
A travers l’éther et le sol,
Elle emporte dans l’étendue
Votre âme attachée à son vol.
Aux cordes d’une lyre immense,
Par elle, sans fin recommence
Le chant commencé dans nos coeurs :
Temps et distance, tout est leurre !
Devant elle, l’Espace et l’Heure
Semblent fuir sur les fils vainqueurs.

II

De Phaéton brûlé magnifique folie !
D’Icare aux flots tombant espoir audacieux !
O rêves des vaincus ! Votre ère est accomplie :
L’homme impie a tenté la profondeur des cieux !

O grand voleur de feu, sublime Prométhée,
Sous l’outrage des Temps relève enfin ton front !
La race de tes fils, aux vents précipitée,
Renaît dans l’air vengeur et lave ton affront !

Elle a, du firmament déchirant le mystère,
Labouré l’infini de flamboyants sillons
Et, de l’azur vaincu, fait pleuvoir sur la Terre
L’or vibrant et poudreux des constellations !
Grâce au germe éternel que son labeur féconde,
D’une moisson de feu couvrant le sol dompté,
Emprisonnant la foudre aux flancs meurtris du Monde
Pour les envelopper d’un réseau de clarté,

Tant d’éclairs jailliront de l’espace où nous sommes,
Dans l’immensité morne où leur éclat s’enfuit,
Que les Jours inquiets se diront que les hommes
Ont volé leur clarté pour en parer la Nuit !

Et les astres jaloux, voyant dans l’étendue,
Notre globe rouler dans ce nimbe vermeil,
Croiront, qu’ayant repris leur puissance perdue,
Les dieux ressuscités font un nouveau Soleil !

15 octobre 1881.