À Victor Hugo
Armand Silvestre

Poème À Victor Hugo

I

Quatre-vingts ans déjà, qu’au ciel de la Patrie,
Ployante sous le joug et par le fer meurtrie.
Un astre se leva, pâlissant les flambeaux,
Comme fait le matin les lampes des tombeaux.

Comme une rose teinte au sang de la victoire,
A l’horizon brumeux où fumait le canon,
Du vieux sol paternel jaillit la fleur de gloire,
O poète immortel, où rayonne ton nom.

Quatre-vingts ans, déjà, que ce beau nom sonore,
Secouant dans l’azur des fanfares d’aurore,
Traînant des étendards à l’Orient vermeil,
Réveilla l’art français de son trop long sommeil !

Sur les autels brisés la Nuit était venue,
Que déchirait d’éclairs la fureur des combats,
Quand, soleil radieux, tu rajeunis la nue,
Proclamant que l’art seul est un maître ici-bas !

Sur le seuil tourmenté de ce siècle farouche,
Ainsi qu’un feu du ciel qui fait pur ce qu’il touche,
Lumineux et puissant, tu mis ton pied vainqueur,
Et la France sentit s’apaiser son grand cœur.

Car tu portais aux plis de ta robe étoilée,
Prophète au front pensif parmi les fronts élus,
L’oubli des deuils sanglants de la France voilée
Et l’éternel pardon des âges révolus.

Ta main tenait la clef formidable d’une ère :
Et c’est pourquoi ton nom, comme un bruit de tonnerre,
De l’avenir ouvert doux et sublime enfant,
Sonne encore aujourd’hui dans l’écho triomphant !

Hugo ! Victor Hugo ! — Cri des saintes batailles
Où le Juste et le Beau vainquirent à la fois,
Où, — pareil à l’armure aux profondes entailles, —
L’âge de fer s’ouvrit devant l’âge des Lois !

Hugo ! Victor Hugo ! — Nom que la foule acclame !
Large comme la mer et pur comme la flamme,
Par les rocs déchirés et les buissons épais,
Tu creusas le sillon de l’éternelle paix !

Hugo ! Victor Hugo ! — Mots, qu’en lettres brûlantes,
Le temps écrit au front des âges à genoux,
Orgueil des bons, effroi des gloires chancelantes,
Salut, ô nom sacré du plus grand d’entre nous !


II

Vieillard auguste au front neigeux comme les cimes,
Et de qui la pensée habite les sommets,
Aigle calme et debout, après les vols sublimes,
Le génie ouvre encor l’aile que tu fermais !

Chaque souffle, en passant, la déploie et t’enlève
Plus haut et par delà les occidents houleux,
Et fait planer ton verbe, ainsi qu’un large glaive
Posé sur le coussin des grands nuages bleus !

La jeunesse du cœur rit encor sur ta bouche,
O frère des proscrits qui connus leur chemin,
Et, du lit de lumière où ta splendeur se couche
Rayonne ta pitié sur tout le genre humain !

Tu ne descendras pas sous quelque mer profonde,
Flambeau d’un jour plus long que tous nos jours mortels :
Car la gloire te pose à l’horizon du monde,
Comme un ostensoir d’or au faîte des autels !

La brume des encens auréole d’hommage
Le superbe couchant de tes ans glorieux,
Et, d’un nimbe de pourpre, entoure ton image
Dont l’éblouissement effare encor nos yeux !

Car, ô Maître, en Toi seul, vit l’honneur de la lyre
Qui sentit, tour à tour, sous ton doigt souverain,
Devant le livre ouvert, où les temps viendront lire,
Vibrer ses cordes d’or et ses cordes d’airain !

Car, ô Maître, en Toi seul vit l’honneur de cet âge
Où ta voix, dominant le chœur des Nations,
Fraternelle, appela les peuples au partage
Du fruit fécond et mûr des révolutions !

O poète clément qui, parmi nous, demeures,
Toi qu’un rêve d’en-haut doit tenter si souvent,
Va, la gloire, pour toi, n’attend pas que tu meures,
Et l’immortalité te saisit tout vivant !

25 février 1881.