À Alexandre Babille.
I
Sur l’amant et sur la maîtresse,
L’Aube épanche un jour enchanté,
Et le temps semble à leur ivresse
Le seuil d’or d’une éternité.
Et le premier frisson des brises,
Baisant leurs fronts silencieux,
Emporte leurs âmes surprises,
D’une aile égale vers les cieux !
Plus haut que le vol des colombes
Et le dernier parfum des fleurs,
Ils passent au-dessus des tombes
Sans entendre couler les pleurs.
Pasteurs du blanc troupeau des rêves,
Une étoile, au sillon vainqueur,
A guidé leurs pas sur les grèves ;
Un Dieu jeune est né dans leur coeur !
L’encens, la cinname et la myrrhe
Brûlent dans leurs souffles mêlés ;
Le choeur des anges les admire
Sur le seuil des Edens voilés.
Sous le vent des harpes sacrées,.
Frémissant des mêmes accords,
Comme sous des mains inspirées,
Leurs âmes vibrent dans leurs corps ;
L’extase a figé les paroles
Sur leurs lèvres au souffle éteint,
Comme la rosée, aux corolles,
Le premier frisson du matin,
D’un baiser leur chair est liée,
D’un serment leur être est uni,
Et leur âme multipliée
Partout confine à l’infini.
Parfums errants, nuit solennelle,
Hymne où l’esprit bercé s’endort,
Lis pur, étoile fraternelle
Oh ! le beau chemin vers la mort !
Sous leurs pas la nue est ouverte :
L’astre a laissé choir son flambeau
L’amant fuit la route déserte,
La maîtresse gît au tombeau.
Au soleil d’or sitôt fermée,
O fleur morte, immortelle fleur !
Tu reposes, ma bien-aimée !
Des deux, ton sort est le meilleur.
Ayant clos tes yeux et ta bouche,
Que me font l’air et le soleil !
- A ceux qu’unit la même couche,
Dieu devrait le même sommeil.
II
Rayonnement discret de la lampe baissée,
Douce plainte du lin par l’aiguille mordu,
Chant léger qu’étouffait sur sa lèvre pressée
Le baiser toujours pris et toujours défendu !
Vieux livre interrompu de lentes causeries,
Silence qu’emplissaient de longs enchantements,
Parfum toujours en fleur des roses défleuries,
Calme des soirs passés près des tisons fumants !
Oh ! je baise en pleurant l’aile dont tu m’effleures,
Souvenir éternel, regret inconsolé,
Amour qui fus ma vie et qui t’es envolé,
- Charme de tous les lieux et de toutes les heures !
III
L’air du soir emportait sous les feuillages sombres,
Comme un parfum du ciel, l’âme des voluptés ;
Les rêves se levaient partout avec les ombres :
Celle qui fut mon coeur était à mes côtés.
Nous suivions le grand bois, parmi l’herbe mouillée,
L’air au front, l’oeil au ciel, la bruyère aux genoux,
Et comme elle sortait, blanche, de la feuillée,
Une source se prit à gémir près de nous.
Ce sanglot sans pitié, poursuivant mon oreille,
S’en fut jusqu’à mon coeur joyeux et l’affligea :
La santé fleurissait sa beauté sans pareille,
Et je cherchais pourquoi l’onde pleurait déjà !
IV
Sur le lac, où j’ai vu passer les cygnes blancs,
Un rêve flotte et suit leur lumineux cortège :
Je vois l’ange endormi, l’enfant au corps de neige,
Qui soulève vers moi ses bras nus et tremblants,
Ses bras pareils aux cous harmonieux des cygnes !
—Et, quand le flot s’enfuit, leurs gestes nonchalants,
Comme pour un adieu, tristes, me font des signes.
Dans le chœur fraternel des célestes oiseaux,
Que cherche, sous l’azur, la chère ensevelie ?
A-t-elle retrouvé le bouquet d’Ophélie,
La pâle fleur d’amour qui croît au fond des eaux ?
— Quand la fraîcheur du vol des cygnes les effleure,
Son haleine frissonne aux cimes des roseaux
Et me trouble, en passant, comme une voix qui pleure.
Sur le lac où j’ai vu descendre le soleil,
Un rêve flotte et suit la vision première :
Je revois mon amour couché dans la lumière,
Comme un lis abattu que teint un sang vermeil ;
Et le flot, aux rougeurs dont le couchant l’irise,
Palpite sur la grève, incessant et pareil
A la lèvre qu’empourpre un baiser qui la brise.
Des baisers ont passé, rapides et brûlants,
Sur ma lèvre où jadis son âme s’est posée,
Et j’ai senti saigner, toujours inépuisée,
Sous l’implacable fer de mes souvenirs lents,
Ma dernière douleur et mon amour première,
— Près du lac où j’ai vu passer les cygnes blancs,
Près du lac où j’ai vu descendre la lumière.
V
Très-pâle et le front ceint de marguerites,
Ses grands yeux levés et qui, somnolents,
Semblaient lire au ciel des choses écrites,
Elle s’en allait, rêveuse, à pas lents,
Si pâle et le front ceint de marguerites !
Très-douce et ne parlant plus à la terre
Qu’avec son sourire et comme tout bas,
Elle allait cueillant la fleur solitaire
Qu’un rêve faisait naître sous ses pas..,
Si douce et ne parlant plus à la terre !
Très frêle et pareille au roseau qui penche,
Un faix invisible inclinait son front.
Va, repose en paix, ma colombe blanche,
Toi que plus jamais mes yeux ne verront
Si frêle et pareil au roseau qui penche.