Poème Bittô

Le bourdonnant été, doré comme du miel,
Parfumé de citrons, de résine et de menthe,
Balance au vent sucré son rêve sensuel
Et baigne son visage au clair de l'eau dormante.

Les pesants papillons ont alangui les fleurs,
Le cytise odorant et la belle mélisse
Infusent doucement dans la grande chaleur,
Le soleil joue et luit sur les écorces lisses ;

Les branches des sureaux et des figuiers mûris
S'emplissent du remous des abeilles fidèles
Comme le jour est gai, comme la plaine rit !
Les prés chauds et roussis crépitent d'un bruit d'ailes.

Voici qu'on voit venir, le soleil sur les yeux,
La petite Bittô, la danseuse aux crotales ;
La blancheur du chemin plaît à ses pieds joyeux
Que la poussière brûle au travers des sandales.

Son voile est de lin vert comme un nouveau raisin,
Sa robe est attachée à son épaule frêle,
La beauté du matin enorgueillit son sein
Et son coeur est content comme une sauterelle.

Ses boîtes de parfums et son petit miroir
Font un bruit de cailloux au fond de sa corbeille ;
Elle danse en marchant et s'amuse de voir
Des bords de chaque fleur s'envoler des abeilles.

- Ah ! Bittô, quel désir mène tes pieds distraits
Aux dangereux sentiers de la campagne ardente ?
D'invisibles Érôs habitent les forêts,
Et des poisons subtils montent du coeur des plantes.

Retourne te mêler aux travaux du matin,
Car l'heure de midi promptement s'achemine,
Ou bien va regarder dans ton petit jardin
Si la nuit a mûri les vertes aubergines

Mais, rieuse et nouant ses deux mains à son cou,
Bittô n'écoute pas les prudentes paroles ;
Le vent joueur s'enroule autour de ses genoux
Et fait un bruit soyeux comme un ruban qui vole.

Le baume végétal qui flotte dans l'air bleu
Enduit d'un miel léger son âme complaisante
Elle vient, au travers des épis onduleux,
S'asseoir près d'un étang où rêve l'eau luisante.

Avides de s'unir au glorieux été,
La pivoine touffue et l'anémone rose
Se pâment de désir et semblent rejeter
Le lâche vêtement des corolles décloses.

- Quelle silencieuse et palpitante ardeur
Rôde autour de vos pieds, vous guette et vous accueille,
Bittô ? Le soleil gonfle et mûrit votre coeur ;
Votre coeur est tremblant comme un buisson de feuilles.

Du flanc de la colline où le cassis bleuit,
Voici Criton qui vient faire boire ses chèvres
A l'étang où Bittô, sous la feuille qui luit,
S'amuse à retenir l'eau vive entre ses lèvres.

Il s'est approché d'elle, il lui dit : » Ma Bittô,
Prends ce fromage, blanc et rond comme la lune,
La noix que j’ai sculptée au bout de mon couteau
Et le panier de jonc où je mettais mes prunes. »

Il lui fait de hardis et timides serments,
Il l’entoure, il la presse, il tient ses mains, il joue…
- Et Bittô, déjà lasse et faible infiniment,
Se couche dans ses bras et lui baise la joue…

*
**

Comme elle est grave et pâle après l’âpre union !
- Ô vous dont la pudeur tristement fut surprise,
Tendre corps plein de trouble et de confusion,
Bittô, je vous dirai votre grande méprise :

Le rude et lourd baiser dont parlent les chansons
Ne guérit pas le mal dont vous étiez atteinte ;
Votre langueur venait de la verte saison,
Du parfum des mûriers et des chauds térébinthes.

Pensant vous délasser d’un tourment inconnu
Qui vous venait des champs, des feuilles, de la terre,
Vous avez sans prudence attaché vos bras nus
Au cou du chevrier dont l’étreinte est amère ;

Amoureuse du jour vivant et de clarté,
Vous avez cru pouvoir apaiser sur sa bouche,
Diseuse de mensonge et de frivolités,
Votre désir de l’air, des fleurs, de l’eau farouche ;

Sentant que votre coeur, si lourd et si dolent,
Pesait à votre sein comme un nid aux ramures,
Vous avez cru qu’aux mains du berger violent
Il pourrait s’effeuiller comme une rose mûre…

Ah ! Bittô, quelle ardeur et quelle volupté
Auraient donc pu guérir votre malaise insigne ?
- L’amant que vous vouliez, c’était le tendre Été
Saturé d’aromate et de l’odeur des vignes !