Quand la feuille en festons a couronné les bois,
L’amoureux rossignol n’étouffe point sa voix.
Il serait criminel aux yeux de la nature,
Si, de ses dons heureux négligeant la culture,
Sur son triste rameau, muet dans ses amours,
Il laissait sans chanter expirer les beaux jours.
Et toi, rebelle aux dons d’une si tendre mère,
Dégoûté de poursuivre une Muse étrangère
Dont tu choisis la cour trop bruyante pour toi,
Tu t’es fait du silence une coupable loi !
Tu naquis rossignol. Pourquoi, loin du bocage
Où des jeunes rosiers le balsamique ombrage
Eût redit tes doux sons sans murmure écoutés,
T’en allais-tu chercher la Muse des cités ?
Cette muse, d’éclat, de pourpre environnée,
Qui, le glaive à la main, du diadème ornée,
Vient au peuple assemblé, d’une dolente voix,
Pleurer les grands malheurs, les empires, les rois ?
Que n’étais-tu fidèle à ces Muses tranquilles
Qui cherchent la fraîcheur des rustiques asiles,
Le front ceint de lilas et de jasmins nouveaux,
Et vont sur leurs attraits consulter les ruisseaux ?
Viens dire à leurs concerts la beauté qui te brûle.
Amoureux avec l’âme et la voix de Tibulle,
Fuirais-tu les hameaux, ce séjour enchanté
Qui rend plus séduisant l’éclat de la beauté ?
L’Amour aime les champs, et les champs l’ont vu naître.
La fille d’un pasteur, une vierge champêtre,
Dans le fond d’une rose, un matin du printemps,
Le trouva nouveau-né . . . . . . . . . . .
Le sommeil entr’ouvrait ses lèvres colorées.
Elle saisit le bout de ses ailes dorées,
L’ôta de son berceau d’une timide main,
Tout trempé de rosée, et le mit dans son sein.
Tout, mais surtout les champs sont restés son empire.
Là tout aime, tout plaît, tout jouit, tout soupire ;
Là de plus beaux soleils dorent l’azur des cieux ;
Là les prés, les gazons, les bois harmonieux,
De mobiles ruisseaux la colline animée,
L’âme de mille fleurs dans les zéphyrs semée ;
Là parmi les oiseaux l’Amour vient se poser ;
Là sous les antres frais habite le baiser.
Les Muses et l’Amour ont les mêmes retraites.
L’astre qui fait aimer est l’astre des poëtes.
Bois, écho, frais zéphyrs, dieux champêtres et doux,
Le génie et les vers se plaisent parmi vous.
J’ai choisi parmi vous ma Muse jeune et chère ;
Et, bien qu’entre ses soeurs elle soit la dernière,
Elle plaît. Mes amis, vos yeux en sont témoins.
Et puis une plus belle eût voulu plus de soins ;
Délicate et craintive, un rien la décourage,
Un rien sait l’animer. Curieuse et volage,
Elle va parcourant tous les objets flatteurs,
Sans se fixer jamais, non plus que sur les fleurs
Les zéphyrs vagabonds, doux rivaux des abeilles,
Ou le baiser ravi sur des lèvres vermeilles.
Une source brillante, un buisson qui fleurit,
Tout amuse ses yeux ; elle pleure, elle rit.
Tantôt à pas rêveurs, mélancolique et lente,
Elle erre avec une onde et pure et languissante ;
Tantôt elle va, vient, d’un pas léger et sûr
Poursuit le papillon brillant d’or et d’azur,
Ou l’agile écureuil, ou dans un nid timide
Sur un oiseau surpris pose une main rapide.
Quelquefois, gravissant la mousse du rocher,
Dans une touffe épaisse elle va se cacher,
Et sans bruit épier sur la grotte pendante
Ce que dira le faune à la nymphe imprudente,
Qui, dans cet antre sourd et des faunes ami,
Refusait de le suivre, et pourtant l’a suivi.
Souvent même, écoutant de plus hardis caprices,
Elle ose regarder au fond des précipices,
Où sur le roc mugit le torrent effréné,
Du droit sommet d’un mont tout à coup déchaîné.
Elle aime aussi chanter à la moisson nouvelle,
Suivre les moissonneurs et lier la javelle.
L’Automne au front vermeil, ceint de pampres nouveaux,
Parmi les vendangeurs l’égare en des coteaux ;
Elle cueille la grappe, ou blanche, ou purpurine ;
Le doux jus des raisins teint sa bouche enfantine ;
Ou, s’ils pressent leurs vins, elle accourt pour les voir,
Et son bras avec eux fait crier le pressoir.
Viens, viens, mon jeune ami ; viens, nos Muses t’attendent ;
Nos fêtes, nos banquets, nos courses te demandent ;
Viens voir ensemble et l’antre et l’onde et les forêts.
Chaque soir une table aux suaves apprêts
Assoira près de nous nos belles adorées ;
Ou, cherchant dans le bois des nymphes égarées,
Nous entendrons les ris, les chansons, les festins ;
Et les verres emplis sous les bosquets lointains
Viendront animer l’air, et, du sein d’une treille,
De leur voix argentine égayer notre oreille.
Mais si, toujours ingrat à ces charmantes soeurs,
Ton front rejette encor leurs couronnes de fleurs ;
Si de leurs soins pressants la douce impatience
N’obtient que d’un refus la dédaigneuse offense ;
Qu’à ton tour la beauté dont les yeux t’ont soumis
Refuse à tes soupirs ce qu’elle t’a promis ;
Qu’un rival loin de toi de ses charmes dispose ;
Et, quand tu lui viendras présenter une rose,
Que l’ingrate étonnée, en recevant ce don,
Ne t’ait vu de sa vie et demande ton nom