A François Gélard
J'ai dans l'âme un vieux sanctuaire
Aux trois quarts, hélas ! ruiné,
Où, sur un pauvre autel de pierre,
Des fleurs achèvent de faner.
J'ai dans l'âme un vieux sanctuaire
Voilà beau temps qu'on n'y vient plus,
Au matin, dire la prière
Et, le soir, tinter l'angélus.
Jadis, pareilles à des vierges,
En de claires processions,
Vous incliniez ici vos cierges,
O mes blanches illusions ;
Mais, par les routes des collines,
J'ai vu, dans l'ombre des lointains,
Fuir les dernières pèlerines ;
Et les cierges se sont éteints.
Plus de cloches, plus de grand'messe,
Plus de cantiques de pardon !
Sur le tabernacle en détresse
Verdit l'herbe de l'abandon.
J'ai dans l'âme un vieux sanctuaire
Toutes les dalles du pavé
Portent le « ci-gît » mortuaire
Des grands destins que j’ai rêvés.
Ils sont là, couchés les mains jointes,
Comme des preux de l’ancien temps,
Appuyant leurs souliers à pointes
Aux chimères de mes vingt ans.
Et, de leurs niches descendues,
Les images que j’adorai
Vers des demeures inconnues,
L’une après l’une, ont émigré ;
Des passants ont brisé les saintes
Dont mes jeunes dévotions
Baisèrent, sur les vitres peintes,
Les doigts prolongés en rayons.
Oh! les Madones, les Maries,
D’autres encore aux noms très doux,
Roses d’antan, fleurs défleuries,
Où êtes-vous? Où êtes-vous ?
Vous fûtes mon électuaire,
Mon Graal, de myrrhe embaumé…
J’ai dans l’âme un vieux sanctuaire.
Ses dieux sont morts : il s’est fermé.