Le Croup
Alphonse Daudet

Poème Le Croup

Alors Hérode envoya tuer dans Bethléem
Et dans les pays d’alentour les enfants de
Deux ans et au-dessous.
Saint Matthieu, III.

I

Dans son petit lit, sous le rayon pâle
D’un cierge qui tremble et qui va mourir,
L’enfant râle.
Quel est le bourreau qui le fait souffrir ?

Quel boucher sinistre a pris à la gorge
Ce pauvre agnelet que rien ne défend ?
Qui l’égorge ?
Qui sait égorger un petit enfant ?

Sombre nuit ! La chambre est froide. On frissonne.
Dans l’âtre glacé fume un noir tison.
L’heure sonne.
Le vent de la mort court dans la maison.

II

Aux rideaux du lit la mère s’accroche.
Elle est nue. Elle est pâle. Elle défend
Qu’on l’approche :
Elle veut rester seule avec l’enfant.

Son fils ! Il faut voir comme elle lui cause !
« Ami, ne meurs pas. Je te donnerai
« Quelque chose ;
« Ami, si tu meurs, moi je pleurerai. »

Et pour empêcher que l’oiseau s’envole,
Elle lui promet du mouron plus frais…
Pauvre folle !
Comme si l’oiseau s’envolait exprès.

Le père est debout dans l’ombre. Il se cache,
Il pleure. On l’entend dire en étouffant :
« Ô le lâche
« Qui n’ose pas voir mourir son enfant ! »

Dans un coin, l’aïeul accroupi par terre
Chante une gavotte, et quand on lui dit
De se taire,
Il répond : « Hé ! hé ! j’endors le petit. »

III

Le cierge s’éteint près du lit qui sombre…
Un râle de mort, un cri de douleur,
Et dans l’ombre
On entend quelqu’un fuir comme un voleur.

Qui va là ? Qui vient d’ouvrir cette porte ?…
Courons ! C’est un spectre armé d’un couteau,
Il emporte
Le petit enfant dans son grand manteau.

Oh ! je te connais, – ne cours pas si vite,
Massacreur d’enfants ! Je t’ai reconnu
Tout de suite
À ton manteau rouge, à ton couteau nu.

Hérode t’a fait ce legs effroyable.
Tu portes sa pourpre et son yatagan.
Vas au diable
Comme Hérode, spectre, assassin, forban