Méfiez-vous des chiffres ! - Explizik

Publié le: 10/05/2022 14:40
Dans le monde du streaming musical, les chiffres sont comme les mots, on leur fait dire ce qu’on veut !

Cette semaine dans Explizik, par Pierre Niboyet

Nous allons voir que les chiffres sont comme les mots, on leur fait dire ce qu’on veut.
Que ce soit dans la communication de multinationales ou plus simplement dans votre quotidien, les chiffres sont devenus des outils de persuasion qui méritent qu’on s’y attarde un peu.

Alors rassurez-vous, je n’ai pas sombré dans l’obscurantisme depuis la semaine dernière. Je reste convaincu que l’analyse de data permet de prendre des décisions éclairées. Qu’il faut bien évaluer la performance d’une action grâce à des chiffres et que le raisonnement au doigt mouillé est le pire ennemi du marketing. 

Toutefois, notre époque, dans laquelle les chiffres sont partout, mérite de les considérer avec raison et de faire le tri entre ceux qui sont utiles et ceux qui relèvent plus du bullshit.

Prenez la communication de grandes entreprises, particulièrement celles qui sont cotées en bourse. Les chiffres qu’elles annoncent traduisent leurs performances et tombent comme de couperets sur leurs ambitions s’ils sont mauvais. 
Lorsque nous parlions de Netflix il y a 15 jours, c’était exactement ça !
Objectifs d’abonnés ratés et vous perdez 35% de votre capitalisation boursière.

Et ce sont les chiffres vérifiables. 
Certains ne le sont pas, du moins pas vraiment. 
Lorsque Spotify annonce qu’il y a 20 000 puis 40 000 et enfin 60 000 nouveaux titres ajoutés à la plateforme chaque jour, c’est le signe que la plateforme est de plus en plus attractive pour les artistes, particulièrement les DIY.
Cela a indéniablement un impact sur les investisseurs et au-delà. 
Moi le premier, je dois bien reconnaitre que ce chiffre de 60 000 m’a frappé. Quel challenge pour les artistes qui cherchent à émerger. Comment faire pour exister au milieu de cet océan musical ?

Mais ai-je seulement pris le temps de questionner deux secondes ce chiffre ? 
Non, je ne me suis pas méfié et je l’ai gobé tout entier. 
Une bonne bouchée de communication non digérée !

Si j’avais réfléchi deux secondes, comme l’a fait l’excellent Bill Werde dans un article sur Hypebot, j’aurai pris les chiffres de catalogue total disponible à date et il y a un an et j’aurais fait un rapide calcul pour voir si on retombe sur ces fameux 60 000 par jour. 

J’aurais vite compris que ce chiffre est pour le moins fantaisiste pour ne pas dire trompeur, et que c’est maximum 23 000 titres par jours qui arrivent sur la plateforme plutôt que le triple officiellement annoncé. 

C’est déjà énorme, mais c’est trois fois moins. 

Au final, j’aurais recraché la communication de Spotify sans le moindre filtre.
Bravo pour le décryptage !

Mais je ne suis pas le seul, loin de là, à ressortir des chiffres entendus ici et là sans vraiment savoir s’ils sont justes. 

Cette toute puissance des chiffres conduit à au moins un autre travers. 
Regarder les mauvais chiffres et s’en satisfaire. 

Prenez les campagnes de pub en ligne. 
Lorsque vous êtes un artiste, vous avez la possibilité de mettre en avant votre travail sur une multitude de plateformes.
Que ce soit les réseaux sociaux ou les DSP, chacun vous propose d’exposer votre travail à des utilisateurs que vous aurez préalablement ciblés. 

Ainsi le parcours espéré est qu’après avoir cliqué sur votre pub, l’utilisateurs aille réaliser l’interaction suggérée. 
Cette mécanique a eu beaucoup de succès, particulièrement pour générer du e-commerce et donc dans le cas d’un artiste, vendre des Goodies, des places de concert etc…
Là où la mécanique présente des ratés, c’est lorsque l’on cherche à réaliser des streams à partir de click.

Tout d’abord, La majorité des DSP, Spotify en tête, ne partage pas les données permettant de faire le lien click => streams. Au mieux vous pouvez faire corréler les actions et faire une estimation. Lorsque vous faites une campagne pour vendre votre nouveau tshirt en revanche, vous savez exactement combien d’unités vous avez vendu grâce à votre campagne.
Vous savez donc le coût par conversion pour votre T-shirt alors que pour les streams réalisés vous ne le pouvez pas. 

Du coup, vous n’avez d’autre choix que de regarder un autre chiffre pour mesurer la performance de votre campagne. 
Dans l’immense majorité des cas, c’est le coût par click qui est retenu. On se réjouit d’avoir un cout par clic faible et on pense que le clic va générer des streams. 

Un peu comme tout à l’heure avec Spotify. 
On pense qu’un chiffre est valable et on se trompe.
Là encore il faut aller un peu plus loin et ne pas commettre la même erreur que tout le monde. 

Un clic n’est pas un stream, c’est aussi bête que ça. 
C’est précisément ce que démontre Adrian Burger dans un article très très complet sorti sur Music-Ally. Pour les anglophones allez-y, le lien est dans la newsletter, c’est passionnant. 

Il explique que trop de gens s’arrêtent à cout par clic et ne voient pas que leurs campagnes sont des échecs. 

Non pas que la pub en ligne ne soit pas un bon moyen de streamer, soyons clairs. 
C’est probablement un des plus efficaces puisque pour la musique, contrairement aux autres industries du divertissement, vous êtes déjà en train de faire l’action espérée lorsque vous regardez la pub. 
Prenez les Trueview sur Youtube, la différence entre une vue via trueview et une vue organique est quasi inexistante. 

Non ce que dit Burger, c’est qu’on regarde le mauvais chiffre et qu’on s’en satisfait.
Le cout par clic est un mauvais indicateur à observer pour votre campagne car un clic ne permet par des prédire un stream c’est même le contraire. Dans 94% des cas, dit-il, l’auteur du clic n’ira pas jusqu’au stream.
A quoi bon observer ce chiffre alors ? Ben à rien !

Alors que si vous vous concentrez sur le nombre de personne qui ont activé le son en regardant votre pub ou le temps passé à la visionner, vous aurez des indicateurs plus fiables du nombre de streams réalisés ensuite. Dans le cas du nombre de vues réalisées, vous ne perdrez plus que 9 % des gens aillant visionné votre pub jusqu’au bout.

Vous l’avez donc compris les chiffres ne se valent pas entre eux.
Qu’ils servent à impressionner, à convaincre ou à rassurer, il faut toujours garder en tête que le chiffre a une utilité pour celui qui l’évoque et qu’il est donc sain de le mettre à l’épreuve au lieu de l’avaler tout cru !

Allez c’est tout pour cette semaine
Comme d’habitude, Si vous ne l’avez pas encore fait abonnez vous à la newsletter.
Pour me soutenir donnez moi 5 étoiles sur Apple et abonnez vous où que vous nous écoutiez.

Pierre Niboyet