« J’suis prêt pour la conquête de l’Ouest »
Sortie il y a maintenant 2 semaines, la compilation Emodrill a eu l’effet escompté : faire découvrir aux amateurs de rap la richesse d’un mouvement underground. Ses 22 artistes aussi différents que surprenants chacun à leur manière ont su séduire notre ouïe à merveille, faisant de ce projet l’une des oeuvres musicales les plus artistiquement foisonnantes de ces derniers mois. Le fruit de l’investissement plein et acharné de Gizo Evoracci derrière le label Maison Blanch., mit au défi par Emmanuel De Buretel derrière Because Music de faire de cette scène décousue un ensemble cohérent et harmonieux est sans aucun doute une réussite.
Si déjà le projet en lui-même était on ne peut plus savoureux, découvrir l’envers du décor est d’autant plus appréciable. C’est ainsi que La Maison Blanch. a dirigé la réalisation d’une série-documentaire, dont le nombre d’épisode est encore inconnu, mais dont on peut visionner déjà les deux premiers sur Youtube. Il est vrai que la curiosité qu’a suscité cette compilation face à la multitude de personnalités et de sensibilités différentes sur le projet mérite quelques éclaircissements, pour encore mieux comprendre l’état d’esprit et le caractère de chacun des artistes.
Mais vraisemblablement Gizo Evoracci ne se contente jamais du strict minimum. Alors, plutôt que de faire de simples « behind the scenes », finalement plutôt communs dans le monde de la musique - quoiqu’encore très réservés aux artistes américains - cette série-documentaire est une oeuvre à part entière.
Quatre caméras à disposition, dont deux VHS, pour capturer chaque instant dans leur authenticité la plus totale, des filtres rétros appliqués tout au long des épisodes pour conserver une harmonie, des séquences de fête, des séquences de travail, et un montage dont il faut souligner la qualité : le résultat est aussi intéressant qu’agréable à regarder. Rien n’est laissé au hasard : l’Emodrill est tout un univers avec son esthétique qui lui colle à la peau, et cette série est l’occasion d’en faire la démonstration dans un naturel saluable.
« J’représente la jeunesse pure, la jeunesse qui est attirée par la pureté. La pureté c’est juste être 100% de ce que tu dis, faire 100% de ce que tu dis, et dire 100% de ce que tu fais, c’est être entier. »
Ces quelques mots de Retro X expriment avec simplicité l’état d’esprit de l’ensemble des artistes. Sans aucun artifice, chacun leur tour ils laissent parler leur art, leur être. Car ce qui fait leur force, c’est qu’ils vivent leur musique, et que leur musique est leurs vies, leurs êtres dans toute leur entièreté, en témoigne ces scènes où on les voit au studio dans un travail acharné et surtout un travail qu’ils partagent tous ensemble, comme une famille. Des artistes entiers donc, dont on ne peut ignorer la passion qui les anime pour leur musique. Une pureté qui s’apparenterait presque à une candeur juvénile, à la rencontre d’un monde de la musique un peu plus féroce.
« C’est un congolais, italien, qui a grandi à Paris, et qui a créé la musique angélique. J’ai confiance en la vision que j’ai pu voir de La Maison Blanch., donc j’fuck avec le mouvement »
La Maison Blanch, c’est chez Gizo. C’est plus qu’un label, c’est un lieu de vie, le lieu de vie de ces artistes pendant des jours et des nuits. Car cette pureté qu’incarnent chacun de ces artistes, elle s’exprime en partie grâce à l’implication déterminée de Gizo Evoracci. Lui qui cultive un lien particulier auprès de chacun de ces jeunes, et fort d’une véritable expérience dans le milieu, parvient à pousser l’expression pleine et sincère des artistes, il est comme un mentor à qui l’on voue un véritable respect, sans jamais tomber dans une mégalomanie malsaine. Il comprend chacun d’entre eux, saisi ce qu’ils veulent partager, et sert parfois même de traducteur entre leurs pensées trop brouillon et une expression claire de leurs propos, comme on peut le voir dans certaines séquences. Une véritable bienveillance émane de ces moments car l’objectif n’est pas de faire de ces personnes des machines à hit, mais de leur faire prendre confiance en leur art et en ce qu’ils sont capables de faire. Endurcir les artistes sans empiéter sur leur sensibilité qu’il tient à tout prix à préserver et à laisser parler. Et visiblement, cela fonctionne à merveille.
« Un jeune homme entrepreneur. J’suis là pour montrer que y a plusieurs manières de « hustle » tu vois. « Ice », parce que l’ice, c’est « clean ». Ce que je peux te ramener, c’est en mode, quelque chose de propre dans cette trap. On est dans un lifestyle qui est « dirty » tu vois ce que je veux dire »
Les artistes parlent un à un face à la caméra, entrecoupés de scènes de vie quotidienne : l’occasion de les laisser s’exprimer sur leur personne, montrer aux spectateurs qui ils sont, pourquoi ils font de la musique et comment ils la font, au travers de ces deux formats, l’un plus formel et l’autre très authentique, tout aussi sincère dans l’un et dans l’autre. On y voit ainsi passer Lala &ce, Retro X, mais également DirtyIceBoyz pour les deux premiers épisodes, et dans leur propre langage, avec leurs propres expressions, ils prennent la parole en tant qu’individus. C’est l’occasion de faire leur connaissance au-delà de leurs seuls morceaux sur la compilation. il faut dire qu’il y a quelque chose de très humain qui émane de chacun d’eux, car très souvent on sent une barrière entre la personne et l’artiste , or là il semblerait qu’ils se soient tous tout à fait affranchi de ces clivages pour laisser parler leur âme et leur coeur.
En somme, ces deux premiers épisodes de la série-documentaire nous montre un envers du décor passionnant, hors du temps et hors des champs traditionnels de l’industrie musicale. Emodrill est plus qu’une compilation, elle est l’histoire d’un an de travail acharné, elle est le résultat du labeur d’une famille, elle est la bande son du film de plusieurs vies.
Dans l’attente des prochains épisodes.
Retrouvez notre review de l'album ici : EMODRILL - LE NOUVEAU WESTERN : UNE COMPILATION QUI VIENT BOULEVERSER LES CODES DU RAP FRANÇAIS