Si l’on a pu voir que les rappeurs étaient assez sensibles au sujet de leur chère et tendre mère - qui en ont souvent vu de toutes les couleurs avec leurs enfants difficiles - force est de constater à quel point la naissance de leur propre enfant révèle en eux des traits qu’on ne supposait même pas. Loin d’être de la fragilité comme beaucoup les targue d’en faire preuve, il serait plus juste de considérer cela comme un retour à eux-mêmes des plus sincères, avec une humanité authentique, qui se défait de leurs démonstrations de force et de leurs égotrips constants.
Quand l’enjeu n’est que notre propre personne, il est vrai que l’on est plus enclin à faire des erreurs, à s’autodétruire sans considération pour autrui. Il faut croire que procréer vient changer en profondeur cet état d’esprit : nos décisions n’ont plus d’impact uniquement sur notre individualité, mais sur une autre personne, le fruit d’un amour ou d’une passion, un humain à part entière, un enfant qui deviendra adulte, et que nos choix impactent et impacteront toute une vie.
C’est justement cette thématique qui vient motiver les rappeurs à parler de l’importance de leur relation avec leur enfant. Entre regrets et déclarations d’amour, ils reviennent sur l’épreuve qu’a souvent été le passage du statut de jeune adulte - qui est souvent assez peu responsable - à celui de jeune père, avec toutes les obligations que cela implique. Il est d’autant plus cocasse d’observer ce comportement lorsque l’on sait que ces mêmes rappeurs portent des discours tout à fait misogynes - il faut l’admettre - et qu’ils finissent par donner naissance à une petite fille. Si artistiquement ils ne lâchent pas leurs propos rabaissants pour les femmes, force est de constater tout de même un changement d’état d’esprit : enfin, ils acceptent que la femme mérite considération.
Quelques titres illustreront éloquemment ce processus dévoilant la sensibilité et l’humanité de ces hommes qui trop souvent se cachent derrière une prétendue insensibilité censée les protéger de certains maux.
Sans doute le morceau qui transpercera le coeur avec le plus d’aisance est celui-ci : Ani Mitzta’er de Despo Rutti. Sur un sample tout droit issu de Dragon Ball Z, le rappeur nous pond là un texte hautement qualitatif, tant par la finesse de l’écriture que par l’effet qu’il produit. Osez rester de marbre face à ces mots et l’émotion avec laquelle il les prononce. La première comme la dixième écoute de ce titre en l’honneur de sa fille, ponctué de ses références hébraïques qui font partie intégrante de sa personne et de sa spiritualité, n’a de cesse de saisir en profondeur les émotions de l’auditeur, qu’il se sente concerné ou non par les mots prononcés. Entre poésie et discours explicites, Despo Rutti rend compte à merveille des propos évoqués plus haut : il y a un caractère hautement didactique pour soi-même dans l’éducation d’un enfant, alors même que l’on aurait considéré dans un sens commun l’aspect inverse - celui de l’apprentissage de la vie à un enfant. Le titre est un véritable chef d’oeuvre à tous points de vue.
Dans un autre registre, Deviens génial de Vald est également de ces titres incontournables dans le genre. Il délaisse pour une fois ses airs délurés pour adopter un ton sensiblement plus sérieux, sur un discours à contre-courant de ce que l’on a l’habitude d’entendre. En effet, peut-être devra-t-on cela à l’éternelle subversivité du rappeur, mais il se tient à distance de cette injonction qu’il a l’air de considérer comme étant hypocrite : « sois toi-même ». Non, à cela il oppose « Deviens génial », une personne exceptionnelle, que certains interpréteront comme une personne qui troquera l’authenticité pour des faux-semblants en guise de protection - et d’autres qui y verront plutôt un encouragement à toujours devenir une meilleure personne. Toujours est-il que ce titre se démarquera des autres par son côté très énergique et jovial. On ne change pas un Vald en un claquement de doigts.
Sur une mélodie au piano nue de tous drums, Booba nous livre avec Petite fille une déclaration d’amour dédiée à sa fille Luna. On a rarement vu le rappeur aussi touchant que sur ce dernier couplet, alors qu’on le connaît plutôt pour ses démonstrations de force. Il l’ouvre avec cette référence au titre de Renaud, Mistral Gagnant, que l’on sait important pour le rappeur en tant qu’il le samplait déjà sur son monstrueux Pitbull, et dont il modifie ici quelques paroles. Le passage sur ce couplet agit comme une rupture et une conclusion avec le reste du son qui n’avait pas grand chose en rapport avec sa fille, mais à lui seul il se suffit comme étant une puissante déclaration, rappelant à quel point elle est devenu le pilier de son existence. Il n’oublie pas, bien sûr, son fils, à qui il dédie quelques lignes en conclusion du morceau. Mais ce qui finira d’achever nos coeurs, c’est bien le clip qui accompagne le morceau, où l’on voit le rappeur à la stature impressionnante, en compagnie de sa fille, dans des plans d’une qualité esthétique assez impressionnante, et trahissant une complicité émouvante entre les deux. Si vous avez réussi à retenir vos larmes, permettez-moi de douter de votre humanité.
Ces derniers mois ont été placés sous le signe à bien des égards pour le jeune rappeur de Sevran. Maes a tenu à saluer la plus belle d’entre elles avec son titre Prioritaire, en l’honneur de la naissance de sa fille. Lui que l’on sait très pudique sur sa vie privée se dévoile ici, sur ce que certains considéreront comme une faiblesse - mais qui semble être en fait sa plus grande force. Le titre ne se veut pas être d’une grande profondeur comme l’écrit de Despo Rutti, mais d’une simplicité sincère, témoignant de tout l’amour qu’il porte à sa fille. Le clip s’inscrit dans cette même logique très élémentaire, en comparaison au clip de Booba : ici on voit simplement le rappeur tenir sa fille dans ses bras, dans un décor sombre, simplement illuminé par un projecteur.
En somme, les rappeurs abordent le sujet de leur descendance avec plus ou moins de légèreté, plus ou moins de recherche, plus ou moins de profondeur, plus ou moins de pudeur. Toujours est-il qu’on saura trouver en chacun une sincérité indéniable, un amour vrai et inconditionnel pour leur enfant. Même ceux qui se considèrent comme au-dessus des lois, ceux qui ne respectent rien ni personne se révèlent comme étant des êtres sensibles, aimants et humains. Et ça fait du bien de pouvoir les apprécier sous cet angle.