Déesse, dis comment ce fut le Roi, ton fils,
Guerrier pareil aux Dieux, qui façonna jadis
La Cithare, pieux vainqueur du fleuve sombre,
Puis inventa les Chants soumis aux lois du Nombre,
Envolés et captifs et gardant leur trésor
Comme un voile fermé par une agrafe d’or !
Le soir baignait de feux les cimes du Rhodope.
Ces grands monts désolés que la nue enveloppe
S’enfuyaient dans la nuit comme de noirs géants.
Joyeux et regardé par les antres béants,
Orphée, au vent affreux livrant sa chevelure,
Ivre d’amour, épris de toute la nature,
Chantait, et, s’envolant comme l’oiseau des airs,
Son Ode avait donné la vie aux noirs déserts,
Car les arbres lointains, entraînés par la force
Des vers, orme touffu, chêne à la rude écorce,
Étaient venus, cédant au charme de la voix ;
Et voici qu’à présent le feuillage d’un bois
Mélodieux, immense et rempli de murmures,
Sur le front du chanteur étendait ses ramures ;
Les rocs avaient fendu la terre en un moment ;
Ils s’étaient approchés mystérieusement,
Et le torrent glacé, qui pleure en son délire,
Étouffait le sanglot qui toujours le déchire.
Du fond de l’éther vaste et des cieux inconnus
Les oiseaux, déployant leur vol, étaient venus ;
Puis, gravissant les monts neigeux, mornes colosses,
Les animaux tremblants et les bêtes féroces
Et les lions étaient venus. Dans le ravin,
Ils écoutaient, léchant les pieds du Roi divin,
Ou pensifs, accroupis dans une vague extase.
Comme un aigle emportant le rayon qui l’embrase,
L’Hymne sainte, agitant ses flammes autour d’eux,
Mettait de la clarté sur leurs muffles hideux ;
Attendris, ils versaient des larmes fraternelles,
Et la douceur des cieux entrait dans leurs prunelles.
Mais le héros chantait, frémissant de pitié.
Son front, par des rougeurs de flamme incendié,
Était comme les cieux qu’embrasent des aurores.
Mêlant ses vers au bruit dont les cordes sonores
Emplissaient le désert par leur voix adouci,
Le pieux inventeur des chants parlait ainsi :
Ô Dieux, s’écriait-il, écoutez la Cithare !
Dieux du neigeux Olympe et du sombre Tartare
Qui portez dans vos mains le sceptre impérieux !
Et vous aussi, Titans, aïeux de nos aïeux !
Kronos ! embrassant tout dans ton vol circulaire !
Et toi, Bienheureux ! Zeus brûlant ! Roi tutélaire,
Indomptable, sacré, terrible, flamboyant !
Ô Zeus, étincelant, tonnant et foudroyant !
Épouse du roi Zeus, Héra ! qui seule animes
Tout, sur les pics de neige et sur les vertes cimes,
Quand se glissent au sein de l’éther nébuleux
Ta forme aérienne et tes vêtements bleus !
Rhéa ! qui sur ton char vénérable es traînée
Par des taureaux, Déesse, ô vierge forcenée
Qui t’enivres du bruit des cymbales d’airain !
Hypérion ! strident, tourbillonnant, serein,
Titan resplendissant d’or, qui, dans ta colère,
Parais, Œil de justice, avec ta face claire !
Ô Sélèné fleurie aux cornes de taureau !
Ô toi, robuste Pan, qui sous le vert sureau
Passes, chasseur subtil, avec tes pieds de chèvre !
Cypris nocturne, ayant des roses sur ta lèvre !
Écoutez-moi, vous tous, Dieux de gloire éblouis,
Roi Ploutôn ! Poseidôn roi ! qui te réjouis
Des flots ! puissant Éros ! Et toi, Titanienne,
Vierge, archer au grand cœur, reine Dictynienne,
Qui bondis et te plais, dénouant tes liens
Sur la montagne verte, aux aboiements des chiens !
Héphaistos, ouvrier industrieux, qui hantes
Les villes ! Bel Hermès ! Arès aux mains sanglantes !
Perséphonè ! Lètô ! reines aux bras charmants !
Toi qui reçus la foudre en tes embrassements,
Sémélè ! Toi, puissant Bacchos aux yeux affables
Ceint de feuillages, né sur des lits ineffables !
Guerrier au front mitré, Dieu rugissant et doux,
Ô toi qui meurs pour nous et qui renais en nous !
Vous, Charites aux noms illustres, florissantes
Dont le fauve soleil dore d’éblouissantes
Parures de rayons les cheveux dénoués !
Euménides ! qui sur vos beaux fronts secouez
Des serpents agitant sinistrement leurs queues,
Et qui regardez l’eau du Styx ! Déesses bleues,
Écoutez la Cithare ! Ô Démons redoutés !
Esprits des bois et des fontaines, écoutez
La Cithare ! Écoutez le cri de sa victoire !
Viens, écoute-la, Nuit sainte à la splendeur noire !
Écoute-la, splendide Éôs, qui sur les lys
Mets ta rose lumière ! Écoute-la, Thémis.
Écoutez-la, vous tous, Dieux ! Et vous, Muses chastes !
Et vous, Nymphes qui dans les solitudes vastes
Éparpillez dans l’air votre chant innocent,
Courant obliquement et vous réjouissant
Des antres ! qui prenez vos caprices pour guides,
Et, rieuses, marchez par des chemins liquides !
Ô Vierges qu’on admire en vos jeux querelleurs
Et dont les jeunes fronts sont couronnés de fleurs !
Vous tous, Guerriers, Démons bienfaisants, Rois fidèles !
Vous dont chaque pensée errante en vos prunelles
Contient l’éternité sereine d’une Loi,
Écoutez la Cithare, où gronde avec effroi
L’orage des sanglots humains, et d’où ruisselle
Comme un fleuve éperdu la vie universelle !
Ô Dieux, pendant les nuits sereines, anxieux,
J’ai longtemps écouté le bruit qui vient des cieux,
D’où sans cesse le Chant des Étoiles s’élance
Si doux, que nous prenons ses voix pour le silence !
Dieux comme vous, mais faits de flamme et de clarté,
Les grands Astres épars dans la limpidité
De l’azur, triomphants d’orgueil et de bravoure,
Vivent dans la splendeur blanche qui les entoure.
Héros, nymphes, guerriers, chasseurs, parmi les flots
De clairs rayons, les uns de leurs blancs javelots
Percent, victorieux, des monstres de lumière ;
Penchés sur des chevaux à l’ardente crinière,
Coursiers de neige ailés au vol terrible et sûr,
D’autres livrent bataille à des hydres d’azur.
Des Vierges parmi les lueurs orientales
Volent, de leurs cheveux secouant des opales,
Et le ciel, traversé d’un éclair vif et prompt,
S’enflamme au diamant qui tressaille à leur front.
Celles-là dans la mer de feu blanche et sonore
Puisent des flots ravis, puis renversent l’amphore
Au flanc lourd traversé par un reflet changeant
D’où la lumière tombe en poussière d’argent ;
D’autres, aux seins de lys et de neiges fleuries,
Dansent dans les brûlants jardins de pierreries,
Et des Astres pasteurs, près des fleuves de blancs
Diamants, dont les flots sont des rayons tremblants,
Conduisent leur troupeau d’étoiles qui flamboie,
Et tous chantent, joyeux d’être Lumière et Joie !
C’est leur Chant écouté dans la tremblante nuit
Par l’arbre muet, par le fleuve qui s’enfuit,
Par la mer furieuse et dont les flots sauvages
Déborderaient bientôt leurs arides rivages,
Qui fait que l’univers par le Nombre enchaîné
Obéit et demeure à la règle obstiné ;
Que l’arbre, noir captif, boit aux sources divines
Sans tenter d’arracher de terre ses racines ;
Que le fleuve sommeille, oubliant ses douleurs,
Et que l’ombre au vol noir, laissant couler ses pleurs
Et son sang, d’où les fleurs du matin vont éclore,
Sans révolte et sans cri s’enfuit devant l’aurore !
Ce chant nous dit : Mortels et Dieux, pour ressaisir
La joie, élevez-vous par le puissant désir
Vers le ciel chaste où l’ombre affreuse est inconnue !
Car, si vous le voulez, à votre épaule nue
Des ailes s’ouvriront, et, dévorés d’amour,
Vous monterez enfin vers la Lumière. Un jour,
La Mort, la Nuit, cessant de sembler éternelles,
Fuiront devant le feu sacré de vos prunelles,
Et vos lèvres, buveurs d’ambroisie et de miel,
Boiront la clarté même et la splendeur du ciel !
Hélas ! telles vers nous leurs prières s’envolent ;
Mais souvent en leur clair triomphe, ils se désolent
Parce que, dans la nuit courant vers le trépas,
Les hommes et les Dieux ne les entendent pas !
C’est ainsi que chanta le vénérable Orphée,
Et des antres obscurs une plainte étouffée
Monta comme un soupir dans le désert profond ;
Et les arbres aux durs rameaux venus du fond
De la Piérie, en fendant la terre noire,
Pour ombrager le front du Roi brillant de gloire,
Les hêtres, les tilleuls et le chêne mouvant
Murmuraient comme si dans l’haleine du vent
Leur feuillage eût voulu jeter sa vague plainte.
La gazelle timide, oubliant toute crainte,
Rêvait dans son extase auprès des ours affreux ;
Les tigres, qui semblaient se consulter entre eux,
Échangeaient, frissonnants, des sanglots et des râles ;
Les lions agitaient leurs chevelures pâles ;
Debout sur les rochers qui suivaient les détours
Du fleuve plein d’un bruit sinistre, les vautours
Et les aigles, ouvrant leurs ardentes prunelles,
Se tournaient vers Orphée, ivres, battant des ailes,
Palpitants sous le souffle immense de l’esprit,
Et regardaient ses yeux pleins d’astres. Il reprit :
Ô Dieux ! les animaux que notre orgueil dédaigne
Et dont le flanc blessé comme le nôtre saigne,
Ces lions dont la faim répugne aux lâchetés,
Les chevaux bondissants, les tigres tachetés,
Ces aigles dont le vol est comme un jet de flammes,
Ces colombes du ciel, ont comme nous des âmes.
Le farouche animal, par nous humilié,
Si nous y consentions, serait notre allié.
Il nous parle et sans cesse il nous offre à voix haute
D’entrer dans nos maisons sans haine, comme un hôte ;
Mais c’est en vain que les gazelles dans les bois
Et les oiseaux de l’air avec leurs douces voix
Veulent émouvoir l’homme altéré de carnage,
Car il a refusé d’apprendre leur langage.
Haïs par nous, leurs yeux où l’espoir vit encor
Se tournent vaguement vers les demeures d’or
Où leur intelligence aimante vous devine ;
Avides comme nous de la clarté divine,
Ils vous cherchent sans doute, humbles et résignés,
Mais vainement ! Pas plus que nous, vous ne daignez
Pardonner à la brute en vos haines funestes,
Et vous détournez d’elle, ô Dieux, vos fronts célestes !
J’ai vu cela ! j’ai vu que dans le firmament
Comme ici-bas, souffrant du même isolement
Et séparés toujours par d’invincibles voiles,
L’homme et les animaux, les Dieux et les Étoiles
Vivaient en exil dans l’univers infini,
Faute d’avoir trouvé le langage béni
Qui peut associer ensemble tous les Êtres,
Les Dieux-Titans avec les Satyres champêtres
Et la brute avec l’homme et les Astres vainqueurs,
Celui qui domptera par sa force les cœurs
De tous ceux dont le jour fait ouvrir les paupières,
Et qu’entendront aussi les ruisseaux et les pierres !
Car les rocs chevelus à la terre enchaînés,
Les fleuves par le cours des astres entraînés,
Les arbres frissonnants sous leurs écorces rudes,
Les torrents dans la morne horreur des solitudes
Voudraient aussi vous voir et pouvoir vous parler,
Puisqu’en prêtant l’oreille on entend s’exhaler
Parmi leur masse inerte et dans leurs chevelures
Des essais de sanglots, des restes de murmures ;
Et ces vaincus, ô Dieux, que les noirs ouragans
Tourmentent dans la nuit de leurs fouets arrogants
Et que mord la tempête aux haleines de soufre,
Voudraient vous dire aussi que la Nature souffre,
Vainement attentifs au seul bruit de vos pas :
Aveugles et muets, ils ne le peuvent pas.
Et tel est le martyre ineffable des choses !
Vous n’entendez jamais crier le sang des roses
Et nous demeurons sourds aux plaintes des soleils.
J’ai vu que tous ces durs exils étaient pareils
Et que tout gémissait de cette loi barbare,
Alors j’ai de mes mains façonné la Cithare !
Et dans ses flancs polis au gracieux contour
Le Chant s’est éveillé, terrible et tour à tour
Caressant, qui bondit en son vol avec rage
Et gronde, sillonné de feux, comme l’orage,
Et jusqu’aux cieux meurtris ouvre son large essor
Et prend les cœurs domptés en ses doux liens d’or.
Il s’est éveillé dans les flancs de la Cithare
Et s’est enfui ; puis, comme un oiseau qui s’effare,
Après avoir erré dans son vol éperdu
Jusqu’aux astres d’argent, il est redescendu
Vers moi, souffle en délire, et s’est posé, farouche,
Avec l’essaim des mots sonores, sur ma bouche.
Muses, que l’Olmios charme par son fracas
Et dont on voit les pieds légers et délicats
Bondir autour de la fontaine violette
Où toujours votre Danse agile se reflète !
Vos chants ambroisiens, vierges aux belles voix,
Illustrent par des chœurs les triomphes des rois,
Et votre Hymne, éclatant comme un cri de victoire,
Vole et fait retentir au loin la terre noire.
Déesses, dont les pieds mystérieux et prompts
Glissent, et dont la Nuit baise les chastes fronts !
Vous dites le grand Zeus déchaînant sur la plèbe
Des Titans monstrueux les Dieux nés de l’Érèbe,
Puis enfermant au fond d’un cachot souterrain
Briarée au grand cœur dans un enclos d’airain ;
Et vous dites l’archer Apollon à l’épée
D’or, plantant ses lauriers sur la roche escarpée
Que leur feuillage obscur couvre d’un noir manteau,
Et foudroyant d’un trait la serpente Pytho,
Monstre énorme, sanglant, dont la force sacrée
D’Hypérion pourrit la dépouille exécrée.
Vous dites Lysios, nourrisson triomphant
Des Nymphes, enlevé sous les traits d’un enfant
Près de la mer, faisant par un prodige insigne
Sur le mât des voleurs croître et grimper la vigne,
Et, sur la nef rapide où coulait un vin doux,
Devenant un lion rugissant de courroux ;
Vous dites, bondissant en vos danses hardies,
Aphroditè d’or aux paupières arrondies
Qui par un doux Désir prit les Olympiens
Et les hommes et les oiseaux aériens,
Et qui, vivante fleur que sa beauté parfume,
Apparut sur la mer dans la sanglante écume !
Et les Heures alors, filles du Roi des cieux,
Parèrent sa poitrine et son cou gracieux
De colliers brillants dont la splendeur environne
Sa chair de neige, puis ornant d’une couronne
Son front ambroisien, s’empressèrent encor
Pour attacher à ses oreilles des fleurs d’or !
Ô Muses ! bondissant près des eaux ténébreuses,
Vous célébrez ainsi les victoires heureuses
Et Cypris rayonnant sur les flots onduleux
Et Bacchos couronné de ses beaux cheveux bleus !
Mais moi, je chante l’Homme et sa dure misère
Et les maux qui toujours le tiennent dans leur serre,
Pauvre artisan boiteux, qui sous l’ombre d’un mur
Travaille et forge, ayant l’appétit de l’azur !
Victime qui, de gloire et de fange mêlée,
Ne possède ici-bas qu’une flamme volée
Et voit mourir les lys entre ses doigts flétris !
Être affamé d’amour, qui dans ses bras meurtris
Ne peut tenir pendant une heure son amante
Sans qu’un génie affreux venu dans la tourmente
La lui prenne sitôt que cette heure s’enfuit
Et, blanche, la remporte aux gouffres de la nuit !
Je dis le chant plaintif des âmes prisonnières
Et des monstres fuyant le jour en leurs tanières :
Ce chant est deuil, espoir, mystère, amour, effroi ;
Il naît dans ma poitrine et s’exhale de moi,
Et, lorsque vient le soir dans la plaine glacée,
Il porte jusqu’à vous la profonde pensée
Des tigres, des lions songeurs au large flanc
Condamnés comme nous à répandre le sang,
Et des chevaux ardents que la forêt protège,
Et des chiens affamés dans les déserts de neige,
Et des oiseaux de flamme au plumage vermeil,
Et des aigles qui, pour s’approcher du soleil,
Volent dans la lumière au-dessus de nos tombes,
Et des biches en pleurs et des blanches colombes !
Surtout je suis la voix, prompte à vous célébrer,
De tout ce qui n’a pas de larmes à pleurer.
Le rocher vous regarde. Hélas ! pendant qu’il songe,
Il sent la goutte d’eau sinistre qui le ronge.
Le flot tumultueux déchiré de tourments
Voudrait mêler des mots à ses gémissements,
Et son hurlement sourd expire dans l’écume.
L’arbre en vain tord ses bras désolés dans la brume :
La terre le retient ; son feuillage mouvant
N’a qu’un vague soupir déchiré par le vent.
Tous ces êtres que tient la morne somnolence
Sont pour l’éternité murés dans le silence.
C’est pourquoi la Cithare inconsolée, ô Dieux,
Pleure et gémit pour eux en cris mélodieux,
Et c’est pourquoi, sentant dans mon cœur les morsures
Cruelles et le feu cuisant de leurs blessures,
Je vous adjure encor pour que votre pitié
Tombe parfois sur l’être obscur et châtié,
Et délivre surtout de leurs douleurs secrètes
L’immobile captif et les choses muettes !
Ayant ainsi chanté pour tous, le Roi divin
Se tut ; mais emplissant les gorges du ravin,
Un reste de sa plainte émue errait encore
Douloureusement sur la cithare sonore.
La nuit tombait ; alors, dans le grand désert nu,
Comme si le neigeux Olympe fût venu
Vers l’inventeur des chants, et, pour trouver sa trace,
Eût traversé le golfe où dort la mer de Thrace,
Et, portant sur sa tête un ciel de diamants,
Franchi les sables d’or et les grands lacs dormants,
Un mont parut, sauvage, ébloui, grandiose
Et noyé de lumière, où dans la clarté rose
Les Immortels vêtus de pourpre étaient debout.
Secourables, semblant avoir pitié de tout,
Leurs regards enchantaient par leurs clartés ailées
La forêt sombre et les étoiles désolées ;
Et le divin Orphée, interrogeant leurs yeux,
Sentit grandir en lui l’homme victorieux
Et bénit l’art des chants en son cœur plein de joie ;
Car sur le front des cieux où leur blancheur flamboie
Les Astres, dont la voix perçait l’éther jaloux,
Resplendissaient de feux plus riants et plus doux ;
Et, consolés dans leur mystérieux martyre,
Les monstres effrayants voyaient les Dieux sourire.
Déesse, vers l’oubli, chargé de nos remords,
Les longs siècles s’en vont ; beaucoup de Dieux sont morts
Depuis la nuit où l’Hèbre en son eau révoltée
Roulait avec horreur la tête ensanglantée
Du poète, jouet adorable des flots.
Toujours depuis ce temps des milliers de sanglots
Humains, jusqu’au seuil d’or des célestes demeures,
Inexorablement suivent le vol des Heures ;
L’homme désespéré ne voit devant ses yeux
Qu’un voile noir cloué sur la porte des cieux,
Et, muré tout vivant dans la nuit ténébreuse,
Ne sait plus rien, sinon que sa douleur affreuse
Doit à jamais rester muette, et qu’il est seul.
Mais moi, baisant les pas sacrés du grand aïeul,
J’entends, j’entends encor l’âme de la Cithare
Exhaler ses premiers cris vers le Ciel avare
Que sa voix frémissante essayait d’apaiser,
Et soupirer avec la douceur d’un baiser !
Novembre 1869.
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