paroles Noir Désir des Visages des Figures

des Visages des Figures

Noir Désir

Date de Sortie : 11/09/2001
 

Retour sur un album classique ; Noir Desir - Des Visages Des Figures

Publié le: 26/05/2021 20:54
Cet album engagé et novateur marquera la chanson française. Ses prises de risques et sa singularité en feront l’un des albums les plus importants du début des années 2000. Une œuvre d’art qu’il faudra réécouter plusieurs fois pour en saisir les complexités

La sortie de cet album marque un tournant pour le groupe, ils ont souhaité se renouveler en modernisant leur style rock de leur début, tendant vers le trip-Rock, voir le blues. Le tout en s’essayant à de nombreuses explorations artistiques sur les sonorités proposées.

 

Un sentiment inéluctable d’angoisse se dégage pratiquement de chaque aspect de Des Visages Des Figures, de la mystérieuse pochette signée Franyó Aatoth aux prods angoissantes et psychédéliques du groupe, c'est un disque construit sur un malheur imminent et une grosse dose de pessimisme.

 

Plusieurs coïncidences totalement indépendantes de la volonté du groupe le rendent encore plus particulier à écouter ; compte tenu de son contenu lyrique, la date de sortie (le 11 septembre 2001) et les scandales dans la vie personnelle de Bertrand Cantat qui ont effectivement condamné la carrière du groupe transforment des morceaux déjà tendus en quelque chose de presque apocalyptique.

 

L'enfant roi, qui ouvre le projet, donne de suite le ton avec un son plus blues que rock, un riff hypnotique qui revient en boucle sur une rythmique tribale envoûtante.

Le morceau dure plus de 6 minutes, on sent que le groupe a pris le temps d’y poser peu à peu une atmosphère qui devient presque anxiogène. Les guitares électriques et autres bruits de distorsions ou même de sifflements apportent un côté mystique au projet.

Le grand incendie est le morceau qui fait suite, il vient également participer à instaurer cette atmosphère lugubre de par ses lyrics troublantes et son instrumentale qui parait parfois désordonnée, aux bruits et effets angoissants et aux paroles assez sombres, tout y est pour nous plonger dans cet univers si particulier qui englobe cet album.

 

« Ça y est, le grand incendie
Y' a l'feu partout, emergency
Babylone, Paris s'écroulent
New-York City
Iroquois qui déboulent » Noir Désir – Le grand incendie

 

La fin de ce titre est d’ailleurs tout en éclats avec un piano qui vient s’emballer.

Une atmosphère distordue qui se maintiendra tout au long du projet mais qui s’illustre à la perfection sur l’excellent L’appartement. Un morceau ou la pluralité de sonorités obligera à effectuer plusieurs écoutes avant d’en saisir toute la complexité.

 

Bien que peu aidé par les circonstances, Des Visages Des Figures sera le plus gros succès commercial du groupe, grâce au super hit du titre Le Vent Nous Portera.

Avec la guitare sèche de Manu Chao et la clarinette basse d'Akosh Szelevényi en compléments, cette chanson douce, en totale opposition avec le rock des précédents albums du groupe va être le hit de la fin d'année 2001, et de toute l'année 2002.

Ce titre est donc de loin, le moins sombre du projet, il viendra d’ailleurs marquer un contraste avec les autres titres beaucoup plus froids sur l’album, un contraste qui permettra aux morceaux plus sombres de prendre encore plus d’ampleur en perspective de tube réconfortant.

 

Même si Des Visages Des Figures illustre la volonté du groupe d'explorer de nouvelles expériences musicales, ils n’en oublient pas moins leur style qui les caractérisait sur leurs premiers projets ; Son style 1 est un morceau Rock qui illustre d’ailleurs cette idée au mieux.

 

Comme sur les albums précédents, on retrouve toujours Bertrand Cantat à l'écriture sauf sur le titre Des armes.

Ce morceau est une reprise d’un très beau texte de Léo Ferré.

 

« Des armes, au secret des jours
Sous l'herbe, dans le ciel et puis dans l'écriture
Des qui vous font rêver très tard dans les lectures
Et qui mettent de la poésie dans les discours

Des armes, des armes, des armes
Et des poètes de service à  la gâchette
Pour mettre le feu aux dernières cigarettes » Noir Désir – Des Armes

 

On y retrouve une constante dans les lyrics que l'on voyait déjà sur leurs albums précédents ; le message politique revendique une société sans privilège, ni injustice, une économie qui servirait tous les hommes et pas seulement la poignée d’élites qui la dirige.  

Des morceaux comme Le grand incendie et À L’envers à L’endroit sont dans cette même essence rebelle, voire même anarchiste.

 

« Y a t' il un incendie prévu ce soir dans l'hémicycle
On dirait qu'il est temps pour nous d'envisager un autre cycle
On peut caresser des idéaux sans s'éloigner d'en bas
On peut toujours rêver de s'en aller mais sans bouger de là

Il paraît que la blanche colombe a trois cent tonnes de plombs dans l'aile
Il paraît qu'il faut s'habituer à des printemps sans hirondelles
La belle au bois dormant a rompu les négociations
Unilatéralement le prince entame des protestations » Noir Désir – A l’envers à l’endroit

 

Le grand incendie, illustré par une photo de la statue de la liberté encerclée par les flammes est de façon troublante presque prémonitoire, lorsqu’on repense aux évènements à New York le 11 septembre 2001 et nous donne l'image d'un monde loin de l'idéal qu'on aimerait atteindre.

 

Le second titre ou Cantat n’a pas réalisé seul l’écriture est L’Europe. Un morceau incroyable par son format (long de plus de 23 minutes !) mais également par ses prises de risques, ses explorations et l’expérience auditive qu’il propose.

Pour l’écriture de ce titre, Bertrand Cantat s’est donc associé à Brigitte Fontaine, ensemble, ils ont écrit littéralement 3 pages de texte, destinées à critiquer l’Europe et la société actuelle de manière à la fois détaillée mais tout en restant subtils dans leurs propos…

Ce morceau est tout simplement une œuvre complète qui occupe à lui seul la 4ème face de la version vinyle !  Le texte illustre au mieux l’idée générale de désarroi et de déception face à cette société dont le constat est peu optimiste…

D’un point de vue des sonorités, c’est également du très haut niveau ! Tout commence avec un bruit sourd digne d'un vaisseau spatial qui décolle.

On embarque alors pour un voyage déroutant ou l’on pourra y côtoyer un saxo fou couplé à une trompette, des samples vocaux, des guitares qui couinent, de la distorsion, 2 interprètes au discours parfois difficilement compréhensibles qui font l'analyse géopolitique de l'évolution de l’Europe et de l’utopie que cela représente.

 

« Les roses de l'Europe sont le festin de Satan.
Je répète :
les roses de l'Europe sont le festin de Satan. » Noir Désir – L’Europe

 

On retrouve d’ailleurs le côté tribal qui venait ouvrir le projet sur L’enfant roi avec des rythmiques typiques de ce genres de sonorités sur la fin du morceau.

Le tout se terminant sur un bourdonnement, rappelant vaguement un essaim de guêpes qui s'affolent.

Les paroles sont superposées les unes aux autres et parfois répétées plusieurs fois, donnant une impression de confusion forte, on se laisse facilement emporter par cette ambiance prenante.

Ce texte est en somme, une belle synthèse des pensées des artistes sur la société de consommation. On aura notamment remarqué leur position forte sur ce sujet avec ce texte qui viendra faire écho au jour ou le groupe à snobbé l’ancienne ministre de la culture ainsi que le patron de Vivindi (filiale d’Universal ou ils étaient signés)

 

« En veux-tu en voilà des écoles de la performance et voilà des patrons
créateurs du Global buisness dialogue ou Electronic commerce
pour s'asseoir en gloussant sur toutes les exceptions à commencer

par ce truc machin culturel.
Histoires de producteurs et de consommateurs, du producteur au consommateur,

du producteur au consommateur, et des intermédiaires à plus savoir qu'en foutre,
toute ton âme s'est usée sur ce chemin sans fin et sur ce va et vient on y va, » Noir Désir – L’Europe

 

En bref, cet album est tout simplement un chef d’œuvre ! De la modernité des sonorités trip-hop au rock plus classique et aux différentes distorsions et effets immersifs, tout y est !

La recherche de nouveauté et l’envie de non-conformité est omniprésente ; elle donne une unité à un album qui propose douze titres plus ou moins proches les unes des autres.

Certains morceaux sont plutôt mélodiques comme Le vent nous portera ou À l'envers à l'endroit ; d'autres sont aux antipodes Le grand incendie, L'Europe et nous offrent des décrochages puissants et imagés (un piano s'emballe sur Le grand incendie, un saxophone déraille dans L'Europe...) ; d'autres encore, plus acoustiques ou dépouillés, nous imprègnent d'ambiances intimistes (Bouquet de nerfs, Le vent nous portera, Des armes) qui mettent en avant les textes et le talent de leur interprète.

Un projet qui reste totalement en phase avec son temps, 20 ans après sa sortie. De plus l'histoire autour du groupe et les événement entourant la sortie de ce projet l'on comme figé dans le temps, face à sa sombre réalité. 

Tom Rivière