Quelle plume il faudrait pour rendre avec des mots
Ton héroïque histoire, ô Daulac des Ormeaux !
Montréal, qui, superbe entre nos métropoles,
Dresse aujourd’hui son front couronné de coupoles,
N’était qu’une bourgade, et n’avait pas vingt ans.
Un soir, le bruit courut parmi ses habitants
Si souvent harassés par les hordes sauvages,
Que, voulant couronner leurs incessants ravages
Par un affreux massacre inouï jusqu’alors,
Les Iroquois devaient réunir leurs efforts
Afin d’exterminer toute la colonie.
Dans l’ombre du conseil, leur infernal génie
Avait tout combiné pour un sanglant succès ;
Bref, il ne devait pas rester un seul Français
Pour porter le récit du désastre à la France…
Attaque à l’improviste, et carnage à outrance !
Transportons-nous au bord de l’Ottawa fougueux.
Dans les étranglements de ses rochers rugueux,
En flots échevelés tordant ses lourdes vagues,
Dont les échos perdus semblent d’étranges voix
Qui s’appellent au loin dans la nuit des grands bois.
Le jour tombe ; au couchant, le soleil qui rougeoie
Saigne sur l’horizon, comme ces feux de joie
Qui le soir, en Bretagne, à la Saint-Jean d’été,
S’éteignent en jetant leur mourante clarté
Sur les coteaux lointains que leur pourpre ensanglante ;
Puis, bientôt, par degrés, la nuit sombre et troublante,
La nuit des grands déserts, ténébreux conquérant,
Envahit la forêt, les monts et le torrent.
Quelqu’un veille pourtant sur ces bords solitaires.
Holocaustes vivants et martyrs volontaires,
Plutôt que de la voir saccager et piller,
Seize colons s’étaient offerts sans sourciller
Pour couvrir de leurs corps la patrie en détresse ;
Et bien armés, joignants la bravoure à l’adresse,
Avant que l’ennemi pût les envelopper,
Ils étaient venus là s’embusquer pour frapper.
Dans cet affreux péril, la colonie en transe
N’avait plus qu’une seule et suprême espérance :
Gagner du temps.
Et dans un vieux fort, où jadis
Des Algonquins avaient combattu les bandits,
Au dessous de la chute, au pied d’un long portage,
Sur un point qui domine avec quelque avantage
Un défilé par où, dans sa soif d’égorger,
L’Iroquois ne pouvait manquer de s’engager,
Daulac et les vaillants compagnons qu’il commande,
Héros de sang breton ou de race normande,
Avec quelques Hurons recrutés en chemin,
Guettant l’envahisseur le mousquet à la main !
Pas un ne reviendra ; tous le savent ; n’importe !
Ils sont là du pays pour défendre la porte ;
Ils ont fait le serment d’en garder les abords :
Il faudra pour entrer leur passer sur le corps !
Et, tandis qu’autour d’eux l’ombre épaissit ses voiles,
Leur prière du soir monte vers les étoiles.
Tout à coup, du rapide au loin couvrant le bruit,
Un hurlement sauvage éclate dans la nuit.
Peuple entre tous habile au jeu des embuscades,
Les Iroquois, rôdant en deça des cascades,
Avaient vu le chemin que Daulac avait pris ;
Et c’était l’embusqué qui se trouvait surpris.
Sept cents démons fondaient ensemble sur le poste
Mais Daulac était brave et prompt à la riposte.
Sans reculer d’un pas, solide comme un roc,
La faible garnison tint ferme sous le choc.
Ce fut en un instant une horrible mêlée.
Les Peaux-Rouges, chargeant en bande échevelée,
Avec des gestes fous et des cris furibonds,
Se ruaient sur le fort, et par d’horribles bonds,
Malgré les sabres nus et les arquebusades,
Recommençaient sans fin l’assaut des palissades.
Ils n’avaient presque plus l’aspect d’êtres humains.
On leur fendait le crâne ; on leur hachait les mains ;
On leur jetait aux yeux des cendres enflammées ;
Quand même ! reformant leurs masses entamées,
Sous la crosse qui tombe ou le brandon brûlant,
Ces tigres enragés s’élançaient en hurlant.
Et toujours, et partout, la balle et l’arme blanche
Refoulaient dans le sang la terrible avalanche.
Et cela, sous les bois, dans la nuit, au milieu
Du désert frissonnant sous le regard de Dieu !
C’était un cauchemar à donner l’épouvante.
On se battit ainsi jusqu’à la nuit suivante ;
Puis l’on recommença.Cela dura dix jours.
Les Iroquois vaincus se recrutaient toujours.
Quant à la garnison, bien qu’à moitié réduite
Par ces dix mortels jours de lutte, et par la fuite
De tous ou presque tous ses Indiens alliés,
Malgré l’effort de tant d’assauts multipliés,
Devant ses ennemis qui redoublaient de rage,
Elle ne sentait pas amollir son courage,
Et, pour sauver les siens, décidée à périr,
Voulait plus que jamais triompher ou mourir.
Un soir que le combat triplait de violence,
Daulac prend un baril plein de poudre, et le lance,
Mèche allumée, en plein milieu des assaillants.
Malheur ! un accident l’arrête, et nos vaillants
Voient retomber sur eux la machine infernale.
Ce fut le dernier coup de la lutte finale.
Aux lueurs que jeta la fauve explosion,
Dans des flots de fumée, une âpre vision,
Scène horrible, à la fois sublime et repoussante,
Arrêta sur le seuil la horde envahissante.
Sur un monceau de morts et dans le sang qui bout,
Un seul des assiégés était resté debout,
Et, tragique, hagard, devenu fou, farouche,
Les yeux fixes d’horreur et l’écume à la bouche,
Afin de les soustraire aux vainqueurs courroucés,
Une hache à la main achevait les blessés !
Puis, le crâne entr’ouvert, et criblé par vingt balles,
Lui-même alla tomber aux pieds des cannibales.
Le lendemain matin, les monstrueux bourreaux,
Redoutant un pays peuplé de tels héros,
Décimés et réduits à moins d’une centaine,
Reprenaient le chemin de leur forêt lointaine
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