Voici bientôt cent ans, pour calmer les aigreurs
De vieillards ruminant leurs pannes d'érection
Sifflant le coup d'envoi du siècle des horreurs
L'Europe s'étripait avec application.
Mais n'a-t-on pas tout dit déjà sur cette guerre ?
Si je crois à propos d'en rouvrir le tiroir
C'est que dans les replis de ce noir inventaire
On voit parfois briller quelques éclats d'espoir.
Chaque fois qu'au journal quelque nouveau carnage
Nous redit que la paix n'est rien qu'une utopie
Ce qui n'est pas mon opinion
Pour combattre l'excès de ma misanthropie
Mon esprit prend le large en un discret voyage
Pour Gentioux ou pour Termignon
Au bout de quatre années la France avait gagné.
Gagné quoi ? C'est douteux. Mais si le gain est flou
On voit plus nettement l'ampleur de la saignée :
Deux millions de cercueils avaient reçu leurs clous.
De ces morts on devait honorer la mémoire
Pour y graver leurs noms on fit des monuments
En feignant d'ignorer qu'à toute cette gloire
Ils auraient préféré rester chez leur maman
Au milieu de ce choeur, de ce viril concert
De ces mâles statues, ces victoires en chantant
Quelques voix ont osé fredonner un autre air
Quelques maires ont osé refuser l'air du temps.
Sur certains monuments aujourd'hui l'on peut lire
Au fond du Limousin, en Savoie ou ailleurs ;
"Maudite soit la guerre !" Et pour statue martyre
Un gosse au poing levé, ou une femme en pleurs
Une douzaine au plus c'est peu sur trente-six mille
Et pour défier l'éclat rutilant des épées
C'est un bien faible lumignon
Mais il brille, et je rends par cette mélopée
Un hommage amical aux élus indociles
De Gentioux et de Termignon.
Chaque année, en novembre, deux calamités
Vers le milieu du mois me font grincer des dents
Le beaujolais nouveau, cette stupidité
Et quelques jours plus tôt, le retour obsédant
Des commémorations de l'ancienne hécatombe
Si au moins l'occasion servait à fustiger
Les guerres d'aujourd'hui, tous ces enfants qui tombent !
Agonir les faucons, vomir les enragés !
Quand j'entends ces jours-là tous ces vieux crocodiles
Exalter la Patrie, la Victoire et la Mort
Tout frétillants sous leurs fanions
Pour calmer la nausée qui m'envahit le corps
Je pense avec tendresse aux courageux édiles
De Gentioux et de Termignon
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