Alphabet
Raymond Radiguet

Poème Alphabet

Un vrai petit diable (dictée)

Le mois dernier, Irène atteignit l’âge de raison.
– Il faut travailler d’après nature, affirment les parents.
Irène voulut choisir elle-même le chapeau de paille destiné à la garder des insolations.

Seule en face du gros arbre, laid à faire peur, elle trouve plus amusant de dessiner de mémoire, au verso de son Billet d’Honneur, les clowns qu’elle vit jeudi dernier, en récompense d’une semaine d’application.
Mademoiselle Personne ne sera pas contente. Cette vieille voisine qui, à ses heures perdues, enseigne les arts d’agrément, ne sait quelle punition infliger à l’espiègle Irène. À sa place, nous lui ferions apprendre par cœur l’alphabet contenu dans vingt-cinq Cornets à Surprises. »

Un point, c’est tout.

Album

Apprendre n’est pas un pensum
Lectrice qui ne savez lire
Ayez grand soin de cet album
Né du plus funeste délire

Bateau

Bateau debout bateau hagard
La danseuse sans crier gare
Sans même appeler les pompiers
Mourut sur la pointe des pieds

Cocarde

Pour faire éclore une cocarde
Aux boutonnières de Juillet
Bara notre frère de lait
Il suffit que tu les regardes

Domino

Le domino, jeu des ménages
Embellit les soirs de campagne.
Du grand-père écoutons l’adage :
« Qui triche enfant finit au bagne »

Escarpin

Grand bal dans la forêt ce soir
Les dryades à chaque pin
Ont accroché deux escarpins
Que chaussent leurs cavaliers noirs

Filet à papillons

« Papillon, tu es inhumain !
Je te poursuis depuis hier »
Ainsi parlait une écolière
Que j’ai rencontrée en chemin

Grenadine

Amour ! moins bénigne des fièvres !
Rien que la regarder m’enivre
Grenadine couleur des lèvres
Qui de tous chagrins me délivrent

Hirondelle

Comme chacun sait l’hirondelle
Annonce la belle saison
Elle n’a pas toujours raison
Cependant nous croyons en elle

Initiales

Initiales enlacées
Sur le sable comme nous-mêmes
Nos amours seront effacées
Avant ce fugitif emblème

Journal

Las de savoir par cœur la terre
Un journal laissé sur la plage
Oiseau inquiet désaltère
Dans l’onde sa soif des voyages

Képi

La guerre fut un chapelier
Coiffant les Français d’un képi
La paix y broda des lauriers
Dès que le canon s’assoupit

Loup

Neige un carnaval insolent
Je vous reconnais joli masque
Ce loup fuyait sous la bourrasque
Des confettis roses et blancs

Mallarmé

Un éventail qui fut l’oiselle
Exquise des rudes étés
Effleure fraîchement de l’aile
L’oiseau peint sur la tasse à thé

Nacelle

Gambetta dans une nacelle
Disait au revoir à Paris
Et Paris pleurait comme celle
Qu’abandonne un époux chéri

Ombrelle

Facilement on se console
Des agaceries du soleil
L’ombrelle ou bien le parasol
Est la fleur qui nous émerveille

Paravent

Ô mon lys ma chaste Suzanne
Fleuris derrière un paravent
Cette pudeur me décevant
Tu rougis comme une pivoine

Quatrain

Ôte ton bandeau Cupidon
Et sollicite mon pardon
Victime de ta perfidie
Ce quatrain je te le dédie

Rose

Tu pourras embrasser les roses
Sans en abîmer la couleur
Car (embrasse-les si tu l’oses)
Zéphir a souffleté ces fleurs

Sachet

Jardinier chéri des verveines
Enferme leur parfum qui ment
Et change en sachet porte-veine
Notre insensible talisman

Tirelire

Enfant bientôt tu sauras lire
Nous te comblerons de cadeaux
Une pesante tirelire
Sera ton plus léger fardeau

Uniforme

Les arbres soldats du printemps
Ont revêtu leur uniforme
Et pour qu’aucun d’eux ne s’endorme
L’oiseau veille, armé de ses chants

Vitre

Voici la mauvaise saison
Le froid qui est un assassin
S’amuse à faire des dessins
Sur les vitres de sa prison

Xylolâtrie

Ne connaissant pas l’hiver, tu
Peux, bon nègre, être xylolâtre
Mais dans ma maison, tes statues
Sans regret je les donne à l’âtre

Yole

Chavirez chère demoiselle
Qui ramâtes sans gloriole
Un refrain se mouille les ailes
Dernière chanson de Mayol

Zéro

Lectrice adorable bourreau
Plus que jamais soyez sévère
Quand vous découvrirez ces vers
À peine dignes d’un zéro