25 août
Jamais je n’oublierai l’heureux instant, madame,
Où dans la cour d’Eugène enfin je vous revis :
Je devins fou tout bas, mes sens étaient ravis ;
Un bonheur inconnu descendit en mon âme.
Comme le cerf bondit vers sa biche qui brame,
Comme l’émerillon fond sur un cochevis,
Comme un enfant descend, éperdu, d’un parvis,
Comme sur un esquif vient déferler la lame,
J’accourus sur vos pas. A ce bruissement
Vous tournâtes la tête et dites : Ah ! c’est Pierre !
Et je reçus de vous un doux embrassement.
Une larme de joie errait sous ma paupière,
Mon coeur était rempli d’un indicible émoi…
Ail ! madame, soyez toujours bonne pour moi !
30 septembre
Dans mon coeur, sombre abîme, où, sous le pont du doute,
A flots silencieux, coule l’impiété,
Où toute passion a son anxiété,
Où le rire poursuit ce que l’homme redoute,
Comme sur un rocher aride et culbuté,
Où jamais le chevreuil ne se suspend et broute,
Parmi les noirs débris de son épaisse croûte,
Au fond d’une profonde anfractuosité,
Depuis tantôt six ans une herbe humble et craintive,
Mais vivace, a germé. Son front est soucieux,
Sa tige est pâle et frêle. Elle souffre captive !
Pourtant, comme le chêne elle irait jusqu’aux cieux ;
Pourtant, si vous vouliez, de cette chétive herbe,
Madame, vous feriez l’arbre le plus superbe !
9 octobre
Tout ce que vous voudrez pour vous donner la preuve
De l’amour fort et fier que je vous dois vouer ;
Pas de noviciat, pas d’âpre et rude épreuve
Que mon coeur valeureux puisse désavouer.
Oui, je veux accomplir une oeuvre grande et neuve !
Oui ! pour vous mériter, je m’en vais dénouer,
Dans mon âme tragique et que le fiel abreuve,
Quelque admirable drame où vous voudrez jouer.
Shakespeare applaudira ; mon bon maître Corneille
Me sourira du fond de son sacré tombeau !
Mais quand l’humble ouvrier aura fini sa veille,
Éteint sa forge en feu, quitté son escabeau,
Croisant ses bras lassés, de son oeuvre exemplaire,
Implacable, il viendra réclamer le salaire !