Sanculottide
Petrus BOREL

Poème Sanculottide

(Avril 1831)

À Joseph Bouchardi, graveur.


Sic locutus est leo,
PHED.

Il y a quelque chose de terrible dans
l’amour sacré de la patrie.
SAINT-JUST.

Dors, mon bon poignard, dors, vieux compagnon fidèle,
Dors, bercé dans ma main, patriote trésor !
Tu dois être bien las ? sur toi le sang ruisselé,
Et du choc de cent coups ta lame vibre encor !

Je suis content de toi, tu comprends bien mon âme,
Tu guettes ses désirs ; quand mon bras assassin
Te pousse, en l’air traçant une courbe de flamme,
Tu vas à la victime et lui cribles le sein.

Dors, mon bon poignard, dors, vieux compagnon fidèle,
Dors, bercé dans ma main, patriote trésor !
Tu dois être bien las ? sur toi le sang ruisselé,
Et du choc de cent coups ta lame vibre encor !

Aujourd’hui, ta vengeance est nourrie ; une proie
A roulé devant toi sur la place… est-ce pas ?
C’est bonheur de frapper un tyran ? et, de joie
Crier entre ses os, d’y clouer le trépas !

Dors, mon bon poignard, dors, vieux compagnon fidèle,
Dors ! bercé dans ma main, patriote trésor !
Tu dois être bien las ? sur toi le sang ruisselé,
Et du choc de cent coups ta lame vibre encor !

La mort d’un oppresseur, va, ne peut être un crime :
On m’enchaîna petit, grand j’ai rompu mes fers.
Le peuple a son réveil ; malheur à qui l’opprime !
Il mesure sa haine au joug, aux maux soufferts.

Dors, mon bon poignard, dors, vieux compagnon fidèle,
Dors, bercé dans ma main, patriote trésor !
Tu dois être bien las ! sur toi le sang ruisselé,
Et du choc de cent coups ta lame vibre encor !

Tiens ! vois-tu ce bonnet penché sur ma crinière ?
Dans le sang d’un espion trois fois je l’ai jeté :

Sa pourpre me sourit ; qu’il soit notre bannière !
Qu’il soit le casque saint de notre Déité !

Dors, mon bon poignard, dors, vieux compagnon fidèle,
Dors, bercé dans ma main, patriote trésor !
Tu dois être bien las ? sur toi le sang ruisselé,
Et du choc de cent coups ta lame vibre encor !

Suspendue à mon flanc, bien aimée estocade,
Toujours tu sonneras… je baise ton acier !
Et, d’opimes joyaux, même dans la décade,
Couverte tu seras comme un riche coursier.

Dors, mon bon poignard, dors, vieux compagnon fidèle,
Dors, bercé dans ma main, patriote trésor !
Tu dois être bien las ? sur toi le sang ruisselé,
Et du choc de cent coups ta lame vibre encor !