Rêveries
Petrus BOREL

Poème Rêveries

Tout meurt.
Gérard


Le monde est un pipeur…
Imitation de J.-C. traduction en vers de P. Corneille.

La mort sert de morale aux fables de la vie.
La vie est un champ clos de milliaires semé,
Où souvent le champion se brise tout armé
À l’unième… Or, voilà le destin que j’envie !
Le monde est une mer où l’humble caboteur,
Pauvre, va se traînant du cirque au promontoire ;
Où le hardi forban croise sous l’équateur,
Gorgé du sang du faible, et d’or expiatoire. —
Mort, suprême bourreau !… non, plutôt vide, rien,
Basse fosse où tout va… mort sourde au cri du lâche !
Tous les êtres sont pairs devant ta juste hache,
L’homme et le chien !

Tous, oui ! tous, du grand œuvre, œuvre faible et pâture :
Du détriment jaillit la reproduction
Qui si tôt s’achemine à la destruction. —
Naître, souffrir, mourir, c’est tout dans la nature
Ce que l’homme perçoit ; car elle est un bouquin
Qu’on ne peut déchiffrer ; un manuscrit arabe
Aux mains d’un muletier : hors le titre et la fin,
Il n’interprète rien, rien, pas une syllabe. —
On dit l’homme, ici-bas, pèlerin aspirant :
Soit ! mais quelle est sa Mecque ou bien son Compostelle ?
Les cieux ?… auberge ouverte à son âme immortelle…
Non ! le néant !

Autour de moi voyez la foule sourcilleuse
S’ameuter, du néant son haut cœur est marri. —
Dites de ce vieux chêne où va le tronc pourri ? —
Poudre grossir la glèbe. — Et vous, souche orgueilleuse !
Un ogre appelé Dieu vous garde un autre sort !
Moins de prétentions, allons, race servile,
Peut-être avant longtemps, votre tête de mort
Servira de jouet aux enfants par la ville !…
Peu vous importe, au fait, votre vil ossement ;
Qu’on le traîne au bourbier, qu’on le frappe et l’écorne…
Il renaîtra tout neuf, quand sonnera la corne
Du jugement !