L’Aventurier
Petrus BOREL

Poème L’Aventurier

À D. Krafft.



Ne puis-je donc aller fumer où il me plaira le
cigare de mon existence ?
AUTEUR CONNU.

Ce désert étouffant est donc infranchissable ?…
Voilà bientôt deux nuits que j’ai quitté les bords ;
De l’aube à l’Occident je marche, et n’en suis hors.
SI es deux, pieds lourdement s’enfoncent dans le sable,
Et mon bambou se rompt sous le poids de mon corps.

Harassé, je m’assieds, mourant solitaire,
Ainsi qu’une ombre errante aux débris d’un château.
Rien ! pas un seul carbet sur ce vaste plateau.
D’un stupide regard je mesure la terre,
Qui se déploie au loin comme un large manteau.

Rien, que ma soif et moi : quel horrible silence !
Je n’entends que mon râle et le bruit de mon cœur.
Je penche, je faiblis courbé par la douleur.
Dieu ! que l’homme est piteux en un désert immense !
Dieu ! que l’homme est débile au souffle du malheur !

Blasphème, aventurier, pleure, et te désespère,
Au réveil trop cruel d’un trop court songe d’or…
Mon sort est mérité, peut être pire encor ;
Dans la tombe en partant j’ai poussé mon vieux père :
Je voulais l’opulence, et j’embrasse la mort.