Cent quatre vers
Paul Scarron

Poème Cent quatre vers

Contre ceux qui font passer leurs
libelles diffamatoires sous
le nom d'autruy.

Beaux Esprits du Pont-neuf, Insectes de Parnasse,
Dont les productions, aussi froides que glace,
Font naistre la tristesse au lieu de divertir,
Vous verray-je toûjours à mes dépens mentir ?
Et mon nom, supposé dans vos oeuvres de bale,
Me sera-t'il toûjours matiere de scandale ?
Trop long temps, malgré moy, par un indigne sort,
Mes vers à vos Placarts servent de Passe-port :
Ils s'en veulent vanger, Grenouilles enrouées,
Et, laissant pour un temps leurs rimes enjouées,
Par des termes trenchans comme des coutelas
Ils vont vous descouper jusqu'en vos galetas,
Vous qui peut-estre un jour, en bonne compagnie,
Atteints et convaincus de male Poesie,
Estendus sur la roue en sales caleçons,
Abjurerez trop tard vos profanes chansons.
Mais n'est-il pas permis à chacun de se taire ?
Et vostre Poesie, est-ce un mal necessaire ?
Rimailleurs affamez produits par le Blocus,
Qui meriteriez bien l'accident de Malcus,
Quel plaisir prenez vous à vous faire maudire ?
Est-ce gloire, est-ce gain qui vous fait tant écrire ?
Ou bien fatiguez vous de gayeté de coeur
Le siecle, dont vos vers est le plus grand malheur ?
Quand vous prenez mon nom, si c'est par quelque estime,
Pour quoy vous en servir à la noirceur d'un crime ?
Et ne m'estimant point, inveterez Pendards,
Pour quoy le supposer à vos méchants Brocards ?
Laissez le tel qu'il est s'il vous est inutile,
Et publiez sans luy vos fautes par la ville.
Mais, Bastards d'Apollon, Rimeurs de Belzebut,
De qui l'esprit malade a pis que le scorbut,
Ennemis du bon sens, corrupteurs du langage,
Ecrivez, imprimez ouvrage sur ouvrage,
Decriez sans respect Princes et Magistrats
Comme si vous estiez reformateurs d'Estats,
Nuisez aux Innocens, attaquez les puissances,
Inventez tous les jours de nouvelles offenses,
Faites bien enrager les hommes de bon sens,
Abusez laschement de mon nom : j'y consens ;
Si la comparaison le merite releve,
Vos deplorables chants, Rossignols de la Greve,
Opposez à mes vers, tous malheureux qu'ils sont,
Decouvriront bien tost la bassesse qu'ils ont,
Seront bien tost au rang des sottises passées
Et papiers déchirez sous les chaizes percées,
Laissant à leurs autheurs, outre mille remors,
Une eternelle peur des Sergens et Recors.
Ne pretendez donc plus, par vos chansons malignes,
Malencontreux Hiboux, vous eriger en Cygnes,
Et, puis qu'à rimailler vous reüssissez mal
Et, pendu pour pendu, que le sort est égal,
Ne faites plus de vers : allez tirer la laine ;
Vous y gagnerez plus avecque moins de peine :
Un livre de vos vers ne vaut pas un manteau.
Ne nous alleguez point la crainte du cordeau :
Elle ne quitte point les medisans Poëtes,
De qui fort rarement les affaires sont nettes,
Et des voleurs de nuit comme de tels Rimeurs
On fait également et pendus et rameurs ;
Si bien qu'en tous les deux estant hommes pendables,
Plus ou moins de profit vous rendront moins blasmables.
Que si, trop adonnez à gaster du papier,
Vous ne pouvez quitter vostre maudit métier,
Au moins faites des vers que chacun puisse lire,
Et servez le Pont-neuf plustost que de medire.
D'un ennemy public, Estranger ou François,
Par zele ou par dépit on se plaint quelque fois
Mais offenser en vers ses Maistres legitimes,
Faire servir en mal l'innocence des rimes
Et pour les debiter y supposer un nom,
C'est estre, pour le moins, faux tesmoin sur larron.
Je veux bien que vos vers soient autant de Chef-d'oeuvres ;
Mais, estant venimeux autant que des couleuvres,
Méchans, c'est pervertir l'usage des bons vers.
Ne vous y trompez plus : cachez ou découvers,
Bien ou mal-faits, ils sont de tres-mauvaise garde ;
Et l'estime n'est pas tout ce qu'on y hazarde
Une faute cachée ou dans l'impunité
Ne peut cautionner une temerité.
Quittez donc un métier qui fait pendre ses Maistres ;
Representez vous bien des Posteaux, des Chevestres ;
Songez, non sans frayeur, que les chants reprouvez
Sont veus degenerer quelques fois en Salvez ;
Songez, non sans frayeur, que semblables ramages
A semblables oyseaux sont de mauvais presages ;
Songez, non sans frayeur, qu'un Gibet est de bois,
Que les faux Amphions l'attirent quelque fois ;
Qu'abusant du métier du malheureux Orphée,
Un bourreau peut autant qu'une Trouppe enragée.
Enfin sur le sujet vous pouvez mediter,
Regarder les objets dont l'on peut profiter,
Songer au grand repos qu'apporte l'Innocence ;
Qu'on n'est point à couvert de ceux que l'on offence,
Qu'on peut vous découvrir, gagnant vos Gazetiers,
Et vous aller chercher jusque dans vos greniers ;
Vous avez trop d'esprit pour ignorer le reste
Et qu'outre les fleaux, Famine, Guerre, Peste,
Il en est encore un, fatal aux Rimailleurs,
Fort connu de tout temps, en France comme ailleurs
C'est un mal qui se prend d'ordinaire aux épaules,
Causé par des bastons, quelques fois par des gaules ;
Son nom est Bastonnade ou bien coups de baston :
Qui vous en donneroit, Messieurs, qu'en diroit-on ?