Ô Claire, Suzanne, Adolphine,
Ma Mère, qui m’étiez divine,
Comme les Maries, et qu’enfant,
J’adorais dès le matin blanc
Qui se levait là, près de l’eau,
Dans l’embrun gris monté des flots,
Du fleuve qui chantait matines
À voix de cloches dans la bruine ;
Ô ma Mère, avec vos yeux bleus,
Que je regardais comme cieux,
Penchés sur moi tout de tendresse,
Et vos mains elles, de caresses,
Lorsqu’en vos bras vous me portiez
Et si douce me souriiez,
Pour me donner comme allégresse
Du jour venu qui se levait,
Et puis après qui me baigniez
Nu, mais alors un peu revêche,
Dans un bassin blanc et d’eau fraîche,
Aux aubes d’hiver ou d’été.
Ô ma Mère qui m’étiez douce
Comme votre robe de soie,
Et qui me semblait telle mousse
Lorsque je la touchais des doigts,
Ma Mère, avec aux mains vos bagues
Que je croyais des cerceaux d’or,
Lors en mes rêves d’enfant, vagues,
Mais dont il me souvient encor ;
Ô ma Mère aussi qui chantiez,
Parfois lorsqu’à tort j’avais peine,
Des complaintes qui les faisaient
De mes chagrins choses sereines,
Et qui d’amour me les donniez
Alors que pour rien, je pleurais.
Ô ma Mère, dans mon enfance,
J’étais en vous, et vous en moi,
Et vous étiez dans ma croyance,
Comme les Saintes que l’on voit,
Peintes dans les livres de foi
Que je feuilletais sans science,
M’arrêtant aux anges en ailes
À l’Agneau du Verbe couché,
Et à des paradis vermeils
Où les âmes montaient dorées.
Et vous m’étiez la Sainte-Claire,
Et dont on m’avait lu le nom,
Qui portait comme de lumière
Un nimbe peint autour du front.
Mais temps qui va et jours qui passent,
Alors, ma Mère, j’ai grandi,
Et vous m’avez été l’amie
Aux heures où j’avais l’âme lasse,
Ainsi que parfois dans la vie
Il en est d’avoir trop rêvé
Et sur la voie qu’on a suivie
De s’être ainsi souvent trompé.
Et vous m’avez lors consolé
Des mauvais jours dont j’étais l’hôte,
Et m’avez aussi pardonné
Parfois encore aussi mes fautes,
Ma Mère, qui lisiez en moi,
Ce que je pensais sans le dire,
Et saviez ma peine ou ma joie
Et me l’avériez d’un sourire.
Claire, Suzanne, Adolphine,
Ô ma Mère, des Écaussinnes,
À présent si loin qui dormez,
Vous souvient-il des jours d’été,
Là-bas en Août, quand nous allions,
Pour les visiter nos parents
Dans leur château de Belle-Tête,
Bâti en pierres de chez vous,
Et qui alors nous faisaient fête
À vous, leur fille, ainsi qu’à nous,
En cette douce Wallonie
D’étés clairs là-bas, en Hainaut,
Où nous entendions d’harmonie,
Comme une voix venue d’en-haut,
Le bruit des ciseaux sur les pierres
Et qui chantaient sous les marteaux,
Comme cloches sonnant dans l’air
Ou mer au loin montant ses eaux,
Tandis que comme des éclairs
Passaient les trains sous les ormeaux.
Ô ma Mère des Écaussinnes,
C’est votre sang qui parle en moi,
Et mon âme qui se confine
En Vous, et d’amour, et de foi,
Car vous m’étiez comme Marie,
Bien que je ne sois pas Jésus,
Et lorsque vous êtes partie,
J’ai su que j’avais tout perdu.