???III.
Tant est Nature en volenté puissante,
Et volenteuse en son foible povoir,
Que bien souvent a son vueil blandissante,
Se voit par soy grandement decevoir.
A mon instinct je laisse concevoir
Un doulx souhait, qui, non encor bien né,
Est de plaisirs nourry, & gouverné,
Se paissant puis de chose plus haultaine.
Lors estant creu en desir effrené,
Plus je l’attire & plus a soy m’entraine.
???IIII.
Je ne l’ay veue encor, ne toy congneue
L’erreur, qui tant de coulpe m’imposa:
Sinon que foy en sa purité nue
Causast le mal, a quoy se disposa
Ton leger croire, & tant y reposa,
Que ton coeur froid s’y mit totallement:
Dont j’ay en moy conclu finablement
De composer a toute repentence,
Puis que ma vie on veult cruellement
Pour autruy faulte offrir a penitence.
???V.
Ja deux Croissantz la Lune m’à monstré:
Autant de fois plaine nous est descreue:
Et deux Soleilz, qui m’ont cy rencontré,
Autant de toy m’ont la memoire creue,
Que m’est la force en l’attente recreue
Pour le long temps, qui tant nous desassemble,
Que vie, & moy ne povons estre ensemble.
Car le mourir en ceste longue absence
(Non toutesfois sans vivre en toy) me semble
Service esgal au souffrir en presence.
???VI.
Le Forgeron villainement erra,
Combien qu’il sceust telle estre ta coustume,
Quand a l’Archier l’aultre traict d’or ferra,
Par qui les coeurs des Amantz il allume.
Car espargnant, possible, son enclume,
Il nous submit a estimable prys,
Pour mieux attraire, & les attraictz surpriz
Constituer en serve obeissance.
Mais par ce traict attrayant Amour pris
Fut asservy soubz l’avare puissance.
???VII.
Bien paindre sceut, qui feit Amour aveugle,
Enfant, Archier, pasle, maigre, volage:
Car en tirant ses Amans il aveugle,
Amollissant, comme enfantz, leur courage:
Pasles par cure, & maigres par grand rage:
Plus inconstans, que l’Autumne, ou Printemps.
Aussi, ô Dieu, en noz coeurs tu estens
L’amour par l’Or plaisant, chault, attractif,
Et par le Plomb tu nous rendz mal contentz,
Comme mol, froid, pesant, & retrainctif.
???VIII.
Bien fut la main a son peril experte,
Qui sur le dos deux aeles luy paingnit.
Car lors j’eu d’elle evidente la perte,
Quand moins cuydois, qu’a m’aymer me faingnit.
Et neantmoins ma foy me constraingnit
A me fier en son erreur patente.
O combien peult ceste vertu latente
De croire, & veoir le rebours clerement,
Tant que pour vivre en si doubteuse attente,
Je me deçoy trop vouluntairement.
???IX.
Par maint orage ay secouru fortune
Pour afferrer ce Port tant desiré:
Et tant me fut l’heur, & l’heure importune,
Qu’a peine j’ay jusques cy respiré.
Parquoy voyant, que mon bien aspiré
Me menassoit & ruyne, & naufrage,
Je fey carene attendant a l’umbrage,
Que voile feit mon aveugle Nocher,
Qui despuis vint surgir en telle plage,
Qu’il me perdit, luy saulve, en ton rocher.
XL.
Quiconques fut ce Dieu, qui m’enseigna
Celle raison, qui d’elle me revoque,
D’un trop grand bien, certes, il me daingna:
Pource qu’a mieulx ma voulenté provoque.
Aussi, ô Dieux, par effect reciproque
Je n’eusse sceu a ce bort arriver,
Sans la vouloir totallement priver,
De ce, qu’a moy elle fait grand cherté,
Car loy d’Amour est de l’un captiver,
L’aultre donner d’heureuse liberté.
XLI.
Le veoir, l’ouyr, le parler, le toucher
Finoient le but de mon contentement,
Tant que le bien, qu’Amantz ont sur tout cher,
N’eust oncques lieu en nostre accointement.
Que m’à valu d’aymer honnestement
En saincte amour chastement esperdu?
Puis que m’en est le mal pour bien rendu,
Et qu’on me peult pour vice reprocher,
Qu’en bien aymant j’ay promptement perdu
La veoir, l’ouyr, luy parler, la toucher.