Il dort sous des ombrages verts,
Quand la liberté le rappelle :
Il dort, le poëte, infidèle
À ces captifs qui, dans les fers,
Attendaient l’aumône d’un vers,
Et pas de lyres qui les plaignent,
Pas un Blondel pour soulager
Tous ces Coeurs-de-Lyon qui saignent !…
Ah Dieu ! si j’étais Béranger !
Au Luxembourg, mon vers vengeur
Irait frappant de stalle en stalle,
Et sa chiquenaude brutale
Au front d’airain du vieux jugeur
Ferait connaître la rougeur.
Je saurais dégoûter, j’espère,
Et Perrin-Dandin de juger,
Et Petit-Jean d’être compère…
Ah Dieu ! si j’étais Béranger !
Je consolerais les Amours :
De la beauté j’ai vu les larmes
Couler sur des gants de gendarmes,
Et sa plainte tomber toujours
Sur des coeurs et des barreaux sourds.
Triste, en rêvant au long martyre
Qu’on lui défend de partager,
Lisette a perdu son sourire…
Ah Dieu ! si j’étais Béranger !
L’avenir est si beau là-bas !…
À des chants d’espoir tout l’engage.
A-t-il remis sa montre en gage,
Le poëte ? et ne sait-il pas
Combien le temps a fait de pas ?
Pour montrer du doigt sur la rive,
Au siècle qui va naufrager,
Les fleurs dont le parfum m’arrive,
Ah Dieu ! si j’étais Béranger !
Lui-même a vingt fois en chantant
Bravé les bêtes du prétoire ;
De dormir avant la victoire,
Après avoir guerroyé tant,
Il a droit, sans doute, et pourtant…
Il faut, viennent les représailles,
Vienne un Juillet ou l’étranger,
Un Tyrtée aux champs de batailles !…
Ah Dieu ! si j’étais Béranger !
1835.