Madame, on dit que les bons comptes
Font les bons amis. Soit, comptons
Comme dans les comptes des contes,
Par boeufs, par veaux et par moutons ;
Pris un jour une cigarette
De vous, dois : quatre-vingt-dix boeufs ;
À ton bouquet, une fleurette,
Peut-être une, peut-être deux,
Dois : quatre-vingts boeufs ; pour l’essence
Que ta lampe brûlait la nuit,
Mille moutons que je recense
Près du berger que son cbien suit.
Pris à ta cuisine adorable
Un bout de pain, un doigt de vin,
Dois : une vache vénérable
Avec sa crèche de sapin.
Mangé sept de tes souveraines
Et célestes pommes au lard,
Dois : le taureau, roi des arènes,
Le plus férocement couillard.
Pour ton savon d’un blanc d’ivoire,
Je conviens qu’en l’usant, j’eus tort,
Dois : tous les veaux du champ de foire
Qui prononcent ME le plus fort.
Marché, la nuit, dans ta chaussure
Dont j’aplatissais le contour,
Dois : le prince de la luxure,
Le bouc le plus propre à l’amour.
Pour l’eau bue à ta cruche pleine,
La nuit, sur ton lit sans rideau,
Dois : le bélier avec sa laine
Le plus vigoureux buveur d’eau.
Pour le retour de tes semelles
Sur les trottoirs de ton quartier,
Dois : la chèvre dont les mamelles
Allaiteraient le monde entier ;
Pour ta clef tournant dans ta porte
Dois, avec les champs reverdis,
Tout agneau que la brebis porte,
Sans compter ceux du paradis.
Constatez mon exactitude,
Voyez si j’ai fait quelque erreur,
Quand on n’a guère d’habitude,
On ne compte pas sans terreur.
Hélas ! oui, sans terreur, madame,
Car je n’ai ni boeufs, ni moutons,
De veaux que les voeux de mon âme,
Et ceux-là, nous les omettons.
Penserez-vous que je lésine,
Si je reste, j’en suis penaud,
Le maquereau de Valentine
Quelle Valentine ? Renault.
Quoi ! je serais de la famille !
Bon ! me voilà joli garçon !
Ça ne vient pas à ta cheville
Et c’est un bien petit poisson.
Que ce maquereau qu’on te donne
Mieux vaudrait un coq sur l’ergot
Tiens, mettons Dauphin, ma Mignonne,
C’est la même chose en argot.
Entre Montmartre et Montparnasse,
L’enfant de la place Maubert,
Pour ces beaux messieurs de la Nasse
Dit : Dos, on Dos fin, ou Dos vert.
Dauphin, c’est ainsi que l’on nomme
Le fils d’un roi D’ailleurs, je sais
Assez distinguer un nom d’homme
Du nom d’un port en bon français.
Pourtant Dauphin ne sonne guère,
Maquereau, lui, qu’il sonne bien !
Il vous a comme un air de guerre,
Et fait-on la guerre avec rien ?
Il sonne bien, tu le confesses,
(Tant pis si vous vous étonnez)
Comme une claque sur vos fesses,
De la main de qui ? devinez.
De ton mari ? Vous êtes fille.
De ton amant ? de ton amant !
Ah ! Vous êtes bien trop gentille
Pour chérir ce nom alarmant.
De ton homme ? Il n’est pas si bête.
Devinez, voyons, devinez
Eh ! de la main de ton poète
Plus légère qu’un pied de nez !
Oui, ça ne fait bondir personne ;
Dauphin, c’est mou, c’est ennuyeux,
Tandis que : Maquereau ! ça sonne !
Décidément, ça sonne mieux !