À Madame Louise Ackermann.
L’implacable Infini dont tu souffres, poète,
Nous en avons souffert comme toi, plus que toi ;
Et nous avons aussi, pendant la nuit muette,
Crispé nos poings d’ennui, de colère et d’effroi.
Nous avons comme toi crié dans nos alarmes
Vers ce Dieu morne et sourd qui nous laissait pleurer,
Quand un de ses regards eût pu sécher nos larmes,
Quand un de ses pardons nous eût fait espérer.
Dans ce siècle sceptique où s’éteint la croyance,
L’homme, désabusé des rêves immortels,
Est allé disséquer, au nom de la science,
Le Christ qui nous ouvrait ses bras sur les autels.
On a maudit le don fatal de l’existence,
Si fatal que l’enfant pleure en voyant le jour,
Comme s’il pressentait à travers la distance
Les désenchantements qui viendront tour à tour.
On a raillé la force aveugle qui nous jette
Sur le champ de la vie aride à défricher,
Et qui nous en arrache à l’heure où l’on projette
De jouir des moissons que l’on vient d’y faucher.
On a nié l’Amour comme on niait la Vie,
Et dans le pessimisme endurcissant les coeurs,
On a fermé la voie où la vertu convie
Les natures d’élite aux dévoûments vainqueurs !
Mais on démolit tout sans savoir reconstruire,
Et ta désespérance à tel point s’agrandit
Que s’il fallait t’en croire, il faudrait le détruire
Ce triste genre humain qui souffre et qui maudit.
Il faudrait aspirer au néant insondable
De la tombe où chacun trouvera le repos,
Et jeter une insulte à Dieu si formidable
Qu’il nous replongerait dans la paix du chaos.
Eh bien, non ! je veux croire et prier et me taire ;
Dieu m’a mis son image au coeur en me créant,
Et quel que soit le deuil, quel que soit le mystère,
Avec elle je veux me sauver du néant !
J’irai droit mon chemin, sans orgueil, sans blasphème,
Comme un banni qui rêve à son pays natal ;
Indulgent pour chacun, sévère pour moi-même,
Car l’homme peut choisir dans un milieu fatal.
Oui, je crois que Dieu vit ; oui, je crois que Dieu règne !
Et quoique les bonheurs d’ici-bas soient tous vains,
Quoiqu’on ne trouve pas une âme qui ne saigne
Et ne tremble à l’assaut de ses rêves divins,
J’ai vu, dans l’ombre où va la caravane humaine,
Que rayonnait sur elle un Idéal de feu,
Et j’y sens un reflet de l’Être qui nous mène :
C’est par le coeur qu’on apprend Dieu !