Communiantes
Georges Rodenbach

Poème Communiantes

Dans l’aube adolescente aux frissons indécis
Où le soleil d’avril s’épand comme un glacis,
On les voit s’avancer, Communiantes pâles,
Cachant leurs bras frileux aux plis tièdes des châles ;
On les voit s’avancer, et leur voile tremblant,
Devant leurs yeux de vierge, a tout teinté de blanc.
Et celles de la rue et celles des carrosses
Vont riant au soleil dans des blancheurs de noces
Et le blanc des souliers comme le blanc des bas
Semble se fondre en neige à chacun de leurs pas !
La mousseline frêle au lointain s’évapore
En brouillards cheminant dans le bleu de l’aurore,
Et leurs robes de tulle aux plis multipliés
Évoquent des oiseaux dont les vols repliés
Les feraient doucement glisser sur une eau morte,
Ou des Vierges d’anciens monastères qu’on porte
Dans les processions, sur de grands piédestaux,
Avec un tremblement le long de leurs manteaux !

Et voici qu’elles vont, Communiantes pâles,
Vers les portails noircis des grandes cathédrales
Et vers les roses nefs des chapelles en fleur
Où, pour réconforter leur jeûne et leur pâleur
Par des blancheurs de ciel qui leur soient assorties,
Jésus leur a dressé la table des Hosties !

Mais demain dans la rue on va déjà les voir
Passer dans leur costume uniformément noir
Sans qu’on les reconnaisse, et sans qu’aucun devine
Le frisson vaporeux qu’avait la mousseline
Sur leur corps vierge et pur, presque immatériel,
Tellement qu’on eût dit qu’elles venaient du ciel !
C’est fini pour toujours des robes défraîchies,
Des rêves de l’enfance et des branches fléchies
Sous le fardeau des fleurs toutes blanches d’avril.
Leurs âmes qu’exaltait un bonheur puéril
Et qui s’ouvraient dans l’aube au printemps des années
Verront tomber aussi leurs floraisons fanées
Comme les arbres noirs défleuris sans retour,
Car les grâces du blanc sont des grâces d’un jour !