A Madame la comtesse Molé
Dans les jours d’autrefois qui n’a chanté Bâville?
Quand septembre apparu délivrait de la ville
Le grave Parlement assis depuis dix mois,
Bâville se peuplait des hôtes de son choix,
Et, pour mieux animer son illustre retraite,
Lamoignon conviait et savant et poète.
Guy Patin accourait, et d’un éclat soudain
Faisait rire l’écho jusqu’au bout du jardin,
Soit que, du vieux Sénat l’ame tout occupée,
Il poignardât César en proclamant Pompée,
Soit que de l’antimoine il contât quelque tour.
Huet, d’un ton discret et plus fait à la cour,
Sans zèle et passion causait de toute chose,
Des enfans de Japhet, ou même d’une rose.
Déjà plein du sujet qu’il allait méditant,
Rapin vantait le parc et célébrait l’étang.
Mais voici Despréaux, amenant sur ses traces
L’agrément sérieux, l’à-propos et les graces.
O toi, dont, un seul jour, j’osai nier la loi,
Veux-tu bien, Despréaux, que je parle de toi,
Que j’en parle avec goût, avec respect suprême,
Et comme t’ayant vu dans ce cadre qui t’aime?
Fier de suivre à mon tour des hôtes dont le nom
N’a rien qui cède en gloire au nom de Lamoignon,
J’ai visité les lieux, et la tour, et l’allée
Où des fâcheux ta muse épiait la volée;
Le berceau plus couvert qui recueillait tes pas;
La fontaine surtout, chère au vallon d’en bas,
La fontaine en tes vers Polycrène épanchée,
Que le vieux villageois nomme aussi la Rachée,
Mais que plus volontiers, pour ennoblir son eau,
Chacun salue encor Fontaine de Bouleau.
Par un des beaux matins des premiers jours d’automne,
Le long de ces coteaux qu’un bois léger couronne,
Nous allions, repassant par ton même chemin
Et le reconnaissant, ton Épître à la main.
Moi, comme un converti, plus dévot à ta gloire,
Épris du flot sacré, je me disais d’y boire:
Mais, hélas! ce jour-là, les simples gens du lieu
Avaient fait un lavoir de la source du dieu,
Et de femmes, d’enfans, tout un cercle à la ronde
Occupaient la naïade et m’en altéraient l’onde.
Mes guides cependant, d’une commune voix,
Regrettaient le bouquet des ormes d’autrefois,
Hautes cimes long-temps à l’entour respectées,
Qu’un dernier possesseur à terre avait jetées.
Malheur à qui, docile au cupide intérêt,
Déshonore le front d’une antique forêt,
Ou dépouille à plaisir la colline prochaine !
Trois fois malheur, si c’est au bord d’une fontaine!
Était-ce donc présage, ô noble Despréaux,
Que la hache tombant sur ces arbres si beaux
Et ravageant l’ombrage où s’égaya ta muse?
Est-ce que des talens aussi la gloire s’use,
Et que, reverdissant en plus d’une saison,
On finit, à son tour, par joncher le gazon,
Par tomber de vieillesse, ou de chute plus rude,
Sous les coups des neveux dans leur ingratitude?
Ceux surtout dont le lot, moins fait pour l’avenir,
Fut d’enseigner leur siècle et de le maintenir,
De lui marquer du doigt la limite tracée,
De lui dire où le goût modérait la pensée,
Où s’arrêtait à point l’art dans le naturel,
Et la dose de sens, d’agrément et de sel,
Ces talens-là, si vrais, pourtant plus que les autres
Sont sujets aux rebuts des temps comme les nôtres,
Bruyans, émancipés, prompts aux neuves douceurs,
Grands écoliers riant de leurs vieux professeurs.
Si le même conseil préside aux beaux ouvrages,
La forme du talent varie avec les âges,
Et c’est un nouvel art que dans le goût présent
D’offrir l’éternel fond antique et renaissant.
Tu l’aurais su, Boileau! Toi dont la ferme idée
Fut toujours de justesse et d’à-propos guidée,
Qui d’abord épuras le beau règne où tu vins,
Comment aurais-tu fait dans nos jours incertains?
J’aime ces questions, cette vue inquiète,
Audace du critique et presque du poète.
Prudent roi des rimeurs, il t’aurait bien fallu
Sortir, chez nous, du cercle ou ta raison s’est plu.
Tout poète aujourd’hui vise au parlementaire;
Après qu’il a chanté, nul ne saura se taire:
Il parlera sur tout, sur vingt sujets au choix;
Son gosier le chatouille et veut lancer sa voix.
Il faudrait bien les suivre,