Le bistrot d’Alphonse
Bernard Dimey

Poème Le bistrot d’Alphonse

C’est au bistrot d’Alphonse, entre onze heures et minuit,
qu’on est venus, trente ans, se tourniquer la gueule
Et se pourrir le foie, un peu toutes les nuits.
La folie va son train, la vache, elle agit seule.
Nul ne l’entend venir mais son oeil est brillant
Et notre cinquantaine à pas de loup s’approche.
L’amour se fait la malle, on n’est plus très vaillant,
À la hauteur, bien sûr, mais c’est pas dans la poche !

Alphonse est bien gentil, c’est mon plus vieux copain,
Son cognac est parfait, son pinard impeccable.
Dans son temps, paraît-il, c’était un chaud lapin
Mais… plus personne au lit quand on dort sous la table !
Trente ans de gueul’ de bois, et sans désemparer !
Et lui, le malheureux, qui buvait pour l’exemple…
La cirrhose a fini par tout accaparer.
Quand tu sers ton calva l’as la pogne qui tremble !

À voir la gueul’ qu’on a, on se prend à rêver,
On se découvre enfin des idées générales.
Il est bien évident qu’on va bientôt crever,
Alphonse, le premier, pour sauver la morale.
Alphonse ! La fortune ell’ mûrit pas tout’ seule,
Il faut la provoquer, y mettre tout son coeur.
Nous, c’est pour t’enrichir qu’on s’est saoulé la gueule
Et quand tu s’ras crevé, on ira boire ailleurs