Aujourd’hui qu’au tombeau je suis prêt à descendre,
Mes amis, dans vos mains je dépose ma cendre.
Je ne veux point, couvert d’un funèbre linceul,
Que les pontifes saints autour de mon cercueil,
Appelés aux accents de l’airain lent et sombre,
De leur chant lamentable accompagnent mon ombre,
Et sous des murs sacrés aillent ensevelir
Ma vie, et ma dépouille, et tout mon souvenir.
Eh ! qui peut sans horreur à ses heures dernières
Se voir au loin périr dans des mémoires chères ?
L’espoir que des amis pleureront notre sort
Charme l’instant suprême et console la mort.
Vous-mêmes choisirez à mes jeunes reliques
Quelque bord fréquenté des pénates rustiques,
Des regards d’un beau ciel doucement animé,
Des fleurs et de l’ombrage, et tout ce que j’aimai.
C’est là, près d’une eau pure, au coin d’un bois tranquille,
Qu’à mes mânes éteints je demande un asile :
Afin que votre ami soit présent à vos yeux,
Afin qu’au voyageur amené dans ces lieux,
La pierre, par vos mains de ma fortune instruite,
Raconte en ce tombeau quel malheureux habite ;
Quels maux ont abrégé ses rapides instants ;
Qu’il fut bon, qu’il aima, qu’il dut vivre longtemps.
Ah ! le meurtre jamais n’a souillé mon courage.
Ma bouche du mensonge ignora le langage,
Et jamais, prodiguant un serment faux et vain,
Ne trahit le secret recélé dans mon sein.
Nul forfait odieux, nul remords implacable
Ne déchire mon âme inquiète et coupable.
Vos regrets la verront pure et digne de pleurs ;
Oui, vous plaindrez sans doute, en mes longues douleurs,
Et ce brillant midi qu’annonçait mon aurore,
Et ces fruits dans leur germe éteints avant d’éclore,
Que mes naissantes fleurs auront en vain promis.
Oui, je vais vivre encore au sein de mes amis.
Souvent à vos festins qu’égaya ma jeunesse,
Au milieu des éclats d’une vive allégresse,
Frappés d’un souvenir, hélas ! amer et doux,
Sans doute vous direz : » Que n’est-il avec nous ! »
Je meurs. Avant le soir j’ai fini ma journée,
A peine ouverte au jour, ma rose s’est fanée.
La vie eut bien pour moi de volages douceurs ;
Je les goûtais à peine, et voilà que je meurs.
Mais, oh ! que mollement reposera ma cendre,
Si parfois un penchant impérieux et tendre
Vous guidant vers la tombe où je suis endormi,
Vos yeux en approchant pensent voir leur ami ;
Si vos chants de mes feux vont redisant l’histoire ;
Si vos discours flatteurs, tout pleins de ma mémoire,
Inspirent à vos fils, qui ne m’ont point connu,
L’ennui de naître à peine et de m’avoir perdu !
Qu’à votre belle vie ainsi ma mort obtienne
Tout l’âge, tous les biens dérobés à la mienne ;
Que jamais les douleurs, par de cruels combats,
N’allument dans vos flancs un pénible trépas ;
Que la joie en vos coeurs ignore les alarmes ;
Que les peines d’autrui causent seules vos larmes ;
Que vos heureux destins, les délices du ciel,
Coulent toujours trempés d’ambroisie et de miel,
Et non sans quelque amour paisible et mutuelle.
Et quand la mort viendra, qu’une amante fidèle,
Près de vous désolée, en accusant les Dieux,
Pleure, et veuille vous suivre, et vous ferme les yeux