O mon oiseau dépaysé, oiseau chéri ! la terre étrangère jouit
de toi, et moi j’ai la douleur de ton absence.
Chant grec, trad. de Fauriel.
. Toujours la France aima la Grèce.
N.-L. LEMERCIER.
Jeune oiseau voyageur, fils du vautour des mers
Qui d’une aile puissante, au milieu des orages,
A balaye les flots amers,
Que viens-tu chercher sur nos plages ?
N’avais-tu pas sur tes rivages
L’éclat d’un soleil éternel,
De fraîches eaux, de beaux ombrages,
Et l’abri du nid paternel ?
Mais, hélas ! sous l’azur d’un ciel toujours tranquille
Tu n’as foulé qu’un sol toujours ensanglanté
De l’effort douloureux et peut-être inutile
Que fait pour s’affranchir l’antique Liberté !
Et tu viens sur nos bords, enfant de l’Hellénie,
De tes doctes aïeux réclamer le génie ;
Quoi ! du legs qu’ils ont fait à la postérité
Leur berceau poétique est seul déshérité ?
L’esclavage et le temps ont banni de l’Attique
L’hymne de Sunium, les leçons du Portique ;
Mais aux trésors puisés dans ces divins écrits,
Est-ce à toi de prétendre, ô fils de Canaris !
Quelles leçons vaudraient l’exemple de ton père !
Et de quels tendres soins la douceur étrangère
Peut-elle s’égaler aux baisers maternels ?
Servir la Liberté, ton pays, tes autels,
Vivre pour les chérir, mourir pour les défendre,
C’est là, surtout, c’est là ce qu’il te faut apprendre,
Et pour y parvenir il n’était pas besoin,
Jeune enfant d’un héros, de t’envoyer si loin !
Si ta noble patrie, à tes mains intrépides,
Doit confier un jour ses brûlots enflammés,
Que ne te laissait-on, pour maîtres et pour guides,
Ses hardis matelots et ses klephtes armés !
C’était assez pour toi. Leurs chants, dans ta mémoire,
De tes concitoyens auraient gravé la gloire ;
Et l’hymne des succès, du deuil ou des combats,
T’eût nommé Pharmakis, Christos, Boukovallas,
Moscho, qui tour à tour mère, épouse, héroïne,
Son enfant au bras gauche, au droit sa carabine,
Des balles dans son tablier,
Savait agir, combattre et mourir en guerrier.
Le sort n’accorda point à ces noms de la veille
De ceux des anciens jours la sonore douceur,
Qu’importe ? Il est toujours assez doux à l’oreille
Le nom qui fait battre le coeur !
De quoi te serviront nos études frivoles,
Cet inutile amas de stériles paroles ?
De quoi te serviront ces sciences, ces arts,
Dont la clarté féconde enrichit nos remparts,
Si parmi nous, enfant, de ton âme innocente
Une haleine glacée éteint l’ardeur naissante ?
Et si ton père un jour cherche en vain dans ton coeur
Ce généreux secret qui seul le rend vainqueur ?
Ah ! crains de respirer cet air qui nous oppresse ;
Fuis vers ton sol natal ! O malheureuse Grèce !
Tu souffres, mais tu vis du moins. Ici tout dort
De ce sommeil pesant précurseur de la mort.
On dirait que la France en sa morne apathie
Avec ta jeune ardeur n’a plus de sympathie :
Elle applaudit de loin aux droits que tu défends,
Comme une antique aïeule aux jeux de ses enfans ;
Impassible témoin de ta brûlante audace,
Des nobles passions elle a perdu la trace ;
Elle en parle aujourd’hui, mais elle n’y croit plus.
La Foi, la Liberté, ces mères des vertus,
Qui respirent encore au sein de tes murailles,
Chez elle ne sont plus que des mots éclatans,
Des étendards levés au milieu des batailles
Four rallier les combattans.
Mais parmi ces soldats, ennemis sans colère,
Engagés au hasard dans les deux camps rivaux,
Mille croisent le fer pour gagner leur salaire,
Bien peu mourraient pour leurs drapeaux.
Ceux-là même déjà par degré s’affaiblissent ;
Les noirs pressentimens dans leur âme se glissent ;
Leur nombre fatigué décroît, et chaque jour
L’inexorable mort les décime à son tour.
Nous punis-tu, Seigneur, de notre indifférence ?
Il n’est plus qu’une seule, une noble espérance,
Elle combat encor pour les Grecs malheureux ;
Mais que dis-je ! peut-être elle expire avec eux ;
Grand Dieu ! s’il était vrai !Foi ! Liberté ! Patrie !
Les Hellènes vaincus, votre cause est flétrie !
Dans quels lieux désormais vous chercher parmi nous ?
Qui donc, s’ils succombaient, s’immolerait pour vous ?
Ah ! ne trahissez pas leurs efforts magnanimes !
De leurs revers, hélas ! vous seriez les victimes !
Alors de nos dédains s’accroîtront vos soucis ;
Et comme ces beautés des fabuleux récits,
Qui mouraient du regret de n’être point aimées,
On vous verra languir lentement consumées ;
Loin de ce monde ingrat vos pas iront chercher
Un désert, un abri qui vous puisse cacher ;
Peut-être quelques voix vous nommeront encore,
Mais vous ne serez plus qu’un bruit vague et sonore !
Non, vous ne mourrez point ; nos jours déshérités
Vainement auront vu s’éteindre vos clartés,
A ce flambeau divin si la flamme est ravie,
Un souffle généreux peut lui rendre la vie.
Peut-être, jeune Grec, c’est le tien qu’il attend
Pour briller de nouveau ! Peut-être en te quittant
Ce penser en secret préoccupait ton père !
Défiant du succès, dans sa cause il espère :
Le présent est douteux ; il te confie à nous
Comme lé germe heureux d’un avenir plus doux !
Vois d’un arbre lointain la semence féconde,
Sur d’autres bords, malgré la barrière de l’onde,
Déposer les trésors dans son sein contenus,
Et son ombre étrangère, et ses fruits inconnus !
N’es-tu point réservé pour un pareil prodige,
Précieux rejeton d’une héroïque tige ,
Par de fidèles mains sur nos bords transplanté ?
Mais pour donner ces fruits qu’attend la Liberté,
Tu dois croître à l’écart, t’élever en silence.
Oui, ceux à qui le sort confia ton enfance
De ce dépôt sacré connaîtront tout le prix !
Ils ne laisseront pas le nom de Canaris
Devenir le jouet d’un engoûment futile,
Ni l’habit étranger de leur noble pupille,
Et sa grâce touchante en sa naïveté,
Amuser des salons la vaine oisiveté !
Ah ! qu’il ne quitte point les amis de son âge !
Leur coeur n’a qu’un élan, leur bouche qu’un langage ;
Et jamais leurs discours d’un voile d’intérêt
Ne cherchent à couvrir quelque dessein secret.
Enfant, reste près d’eux. Leur riante jeunesse
Egaîra de tes traits la précoce tristesse.
Autour de toi pressé, que ce peuple enfantin
Essaie en se jouant ton langage lointain ;
Ou que des premiers faits inscrits dans ta mémoire,
Attentif et tremblant, il écoute l’histoire,
Et s’étonne à ces maux, de son âge ignorés.
Dis-lui les Grecs trahis, tes proches massacrés,
Le Pacha dans tes murs, Psara livrée aux flammes,
Les prêtres, les vieillards, les enfans et les femmes
Jonchant le sol fumant de leurs sanglans débris,
Sous le fer des vainqueurs ; et devant Canaris
Leurs navires, chargés d’une livide proie,
Fuyant sur cette mer où s’engloutit leur joie !
Sur ces mobiles fronts, dans ces regards pensifs,
Se peindra le reflet de tes récits naïfs.
Puisse dès ce moment leur jeune intelligence
Épouser ta querelle, adopter ta vengeance,
Avec elle grandir et couronner demain
Cette oeuvre qu’aujourd’hui nous implorons en vain !
Espère, jeune Hellène ! à ton pays unie
Tu verras quelque jour la France rajeunie
Se lever tout entière à ta voix, et nos fils
Suivre au-delà des mers le fils de Canaris.