La salamandre
Aloysius Bertrand

Poème La salamandre



- » Grillon, mon ami, es-tu mort, que tu demeures sourd
au bruit de mon sifflet, et aveugle à la lueur de
l’incendie ? »

Et le grillon, quelque affectueuses que fussent les
paroles de la salamandre, ne répondait point, soit qu’il
dormît d’un magique sommeil, ou bien soit qu’il eût
fantaisie de bouder.

» Oh ! chante-moi ta chanson de chaque soir dans ta
logette de cendre et de suie, derrière la plaque de fer,
écussonnée de trois fleurs-de-lys héraldiques ! »

Mais le grillon ne répondait point encore, et la salamandre
éplorée, tantôt écoutait si ce n’était pas sa voix, tantôt
bourdonnait avec la flamme aux changeantes couleurs rose,
bleue, rouge, jaune, blanche et violette.

- » Il est mort, il est mort, le grillon mon ami ! » – Et
j’entendais comme des soupirs et des sanglots, tandis que
la flamme, livide maintenant, décroissait dans le foyer
attristé.

- » Il est mort ! Et puisqu’il est mort, je veux mourir ! »
- Les branches de sarment étaient consumées, la flamme se
traîna sur la braise en jetant son adieu à la crémaillère,
et la salamandre mourut d’inanition.