Les années passent et les réseaux sociaux sont de plus en plus les piliers de toutes sortes de carrières, et la musique est de ceux qui en profitent le plus. Ils servent certes à asseoir la carrière de certains déjà bien connus, mais surtout, ils servent désormais à lancer celles de novices absolument méconnus du public. Fini les repérages sur les scènes de bars en sous-sol, ou encore dans des réunions très sélectives telles que Rentre dans le cercle ou Booska-P, désormais, c’est sur Instagram que tout se passe.
Une accessibilité à tous points de vue
Le passage sur ces interfaces rend les choses très accessibles : ceux qui n’osaient pas osent désormais, tant la proximité entre les artistes, leurs auditeurs et les plateformes est intense. Et c'est cette proximité qui distingue ces médias des plateformes traditionnelles : très peu de sélection à l'entrée, voire aucune, et des organisateurs quelconques, qui ne sont ni des professionnels, ni des rappeurs.
Parmi les comptes les plus important sur la scène française, on compte notamment 1Minute2Rap. Le concept est simple : tous les mois s’affrontent 100 amateurs en freestyle, avec des contraintes de style, de prod, de textes ou d’ambiance imposés, obligeant les candidats à redoubler d’effort pour se démarquer, titillant ainsi leur créativité. Des invités de marque, tels que Roméo Elvis, Bramsito ou encore Hornet la Frappe pour ne citer qu’eux font même parfois office de jury de ces concours mensuels. L’idée prend si bien que le compte suivi par plus de 910 000 personnes a lancé de véritables carrières, parmi lesquelles Tsew the Kid, suivi par 270 000 fans, qui remplit désormais des Olympia et est invité sur les plateaux de Clique.
Plus fou encore, le créateur du compte, Milyann Kerchouche a dernièrement lancé son label, y faisant signer ses plus belles trouvailles. Ils ont d’ailleurs sorti un album collaboratif de tous les artistes du label, Maintenant ou Jamais, ce 26 juin dernier. On y trouve notamment le jeune Livaï, qui a tout sauf le profil d’un rappeur avec sa chevelure blonde et sa bouille angélique, Todd et ses locks tombantes, ou encore Amber et sa voix cristalline. Autant de profils très différents révélés au public, si bien qu’ils comptent 80 000 followers chacun. Un sacré tremplin donc pour leurs carrières.
La prolifération de comptes motivés par cette même ambition
De nombreux autres comptes ont vu le jour sur ce même concept, parmi lesquels notamment LeRapFrançais, qui se développe peu à peu, cherchant sa particularité dans des partenariats : il a ainsi collaboré ce mois-ci avec le photographe et réalisateur IDRNZ, offrant au gagnant du concours la possibilité de cliper un morceau avec ce dernier - qui a notamment travaillé avec Damso, PLK, et même Hamza. Une nouvelle façon de donner de la visibilité aux novices qui se laissent tenter par l’aventure donc, et ça fonctionne ! On pourrait penser à de la concurrence entre les différents comptes portant ce même concept, mais on s’aperçoit très vite qu’aucune inimitié n’existe entre eux - pour l’instant. LRF a ainsi partagé la sortie de l’album produit par 1Minute2Rap, ce dernier remerciant chaleureusement ce soutien.
Parmi les comptes les plus développés, impossible de passer à côté de Le Règlement, connu de tous les amateurs de rap. Initialement, ce média multiplateformes - il dispose d’une radio, d’une chaîne Youtube, d’un compte Spotify et d’une compte Instagram - était axé sur des analyses très pertinentes qui ont eu un véritable retentissement dans la scène rap. Laylow a ainsi été propulsé à la suite de la sortie d’une vidéo du Règlement au sujet de Trinity, de même que Freeze Corleone qui lui a connu un rebond après l’analyse du youtubeur, d’un effet semblable à l’exposition qu’offrirait un clip. En somme, Le Règlement a un impact réel dans la musique urbaine, et ce pouvoir en sa possession, il l’a mis au service des novices sur Instagram. Le Règlement a ainsi instauré des concours de freestyles, toujours dans son esthétique qui le distingue du reste : sombres et teintés de violet, les vidéos des freestyles sont immanquables. Les finalistes de ses concours figurent ainsi sur des albums disponibles en streaming, et bénéficient de ce fait d’une visibilité assez conséquente.
Découvrir de nouveaux artistes aux contenus de qualité
Ces nouvelles plateformes apportent beaucoup de positif à tout le monde : les adeptes de rap découvrent de nouveaux artistes sur lesquels ils ne seraient sans doute jamais tombés avant, et les novices eux, exercent leur créativité en se pliant aux contraintes, tout en gagnant en visibilité. Tout le monde y trouve son compte, et de plus en plus l’objectif n’est plus de gagner ces concours, mais seulement d’y participer.
La qualité des productions est parfois assez impressionnante, certains attirent vraiment l’attention, parmi lesquels Clovis (@clovis.jv sur Instagram), finaliste du dernier concours de freestyle du Règlement. Un coup d’oeil sur son profil suffit à constater le professionnalisme de ses productions, pour de simples freestyles sur Instagram. Des clips élaborés et soulignant un véritable sens de l’esthétisme ainsi qu’une qualité audio assez folle pour un amateur, le jeune rappeur - qui lui non plus n’en a pas l’apparence - laisse glisser sa plume , avec une polyvalence inspirante : des prods de drills aux instrus estivales, le jeune Clovis touche à tout, et dispose d’une marge de progression qui ne présage que du positif pour lui.
De même, le jeune Nixfé (@nixfe_ sur Instagram), que l’on connaissait il y a quelques années sur des freestyles sur 1minute2rap produit désormais des titres de qualité, souvent accompagnés de clips instaurant de véritables ambiances : du flow sombre à la zumba estivale, Nixfé sait tout faire. Aux vues de sa maîtrise des codes de la musique urbaine, nul doute possible sur sa capacité à se faire connaître dans les prochaines années, ses clips cumulant d’ores et déjà plusieurs dizaines de milliers de vues sur Youtube.
Ce sont eux et bien d’autres qui construisent peu à peu leurs univers et leur public au travers de ces nouvelles interfaces, plus accessibles et plus libres que sur Youtube par exemple. Ces comptes de freestyle leur offre un public qu’ils n’auraient jamais su trouver autrement, et l’aspect compétitif les pousse à s’efforcer de toujours dépasser leurs limites et progresser. Le rap se défait également de ses clichés sur le profil de ceux qui seraient « légitimes » à rapper : tout le monde peut faire du rap. Le phénomène n’a de cesse de se populariser auprès de tous les milieux, désormais nul besoin ni de kicker sale, ni d’avoir un passé de gangster et un physique impressionnant. Seuls un téléphone, un flow original et une belle plume peuvent suffire.
