Quand les femmes s’imposent dans le rap français #2

Publié le: 22/07/2020 16:30
Mis à jour le: 05/10/2020 12:27
Un seul article ne suffisant pas à apprécier l’étendue du paysage féminin dans le rap français, c’est l’occasion de réitérer la chose avec des artistes toutes plus créatives les unes que les autres.

Les femmes osent et s’imposent. Si les artistes citées dans le premier épisode avaient un nom quelque peu déjà établi dans le milieu, avec des featurings aux côtés de rappeurs « mainstream » comme Kendra, ou en figurant sur des compilations formidables comme Lala &ce sur Emodrill, d’autres sont encore peu mises en avant alors même que leurs univers mériteraient d’être découverts.

 

Elles sont créatives, toujours plus talentueuses et inventives les unes que les autres, elles façonnent leurs univers et leurs esthétiques chacune à leurs manières avec une dextérité à en faire rougir plus d’un. Elles sont belles, fortes, et maîtrisent les rythmes et les sonorités comme peu savent le faire. Qui sont ces femmes à écouter absolument, et surtout à suivre de près ?

 

 

« Can’t afford to be dumb, you know / Used to be numb before / I got into all this music shit / Now I put my soul into the flows I spit”

« Je n’ai pas les moyens d’être idiote, tu sais / Avant, j’étais engourdie / Je me suis lancé dans cette putain de musique / Aujourd’hui je mets mon âme dans les flows que je crache »

 

Blu Samu est de celles que l’on se doit de remarquer à tout prix. Encore un fruit du terreau bruxellois - car décidément nos voisins belges ont décidé d’être un réservoir à talent du rap francophone - qui derrière son visage rayonnant d’une beauté naturelle et un corps frêle qui laisserait croire à une certaine faiblesse, cache en réalité une femme d’une effervescence artistique à vous ravir. Elle n’ira sans doute pas kick sale comme une Doria effectivement, mais ses inspirations sont toutes autres. A mi-chemin entre la soul, la funk, le RnB et enfin le rap, Blu Samu nous embarque dans un éternel voyage dans des tons feutrés on ne peut plus savoureux. Elle rap en anglais, une langue qu’elle maîtrise à la perfection, tout en se tenant à distance des codes anglo-saxons. Attachée à ses origines portugaises, elle parvient à mêler dans sa musique cette multitude d’influence, ayant un rendu on ne peut plus foisonnant. Ses paroles sont plus proches de la poésie que de l’égotrip qu’on associe tant au rap, en expression de toute la profondeur spirituelle de l’artiste. On notera également la qualité esthétique de ses clips, qui témoignent d’une véritable créativité, et d’une patte qui lui est bien propre. Découvrez son titre I Run, en preuve de cette qualité musicale. Blu Samu est inimitable, et on attend seulement son moment de gloire ainsi que la reconnaissance de son talent. 

 

 

« Bientôt j'suis à Milan pour la Fashion Week / Ces fils de putes pour deux minutes me donnent un demi SMIC »

 

S’il y a des artistes féminines que vous ne devez rater sous aucun prétexte, Jäde en fait très nécessairement partie. La jeune lyonnaise s’inscrit également dans cette veine assez feutrée mêlant RnB et rap, allant même parfois jusqu’à assumer des influences trap sur Longtemps. Son premier album Première fois témoigne de son éclectisme revendiqué, sa voix légère et candide n’hésitant pas à prononcer des mots crus en toute délicatesse. Un équilibre que l’on apprécie, alors qu’elle joue sur des prods aux styles multiples mais toujours avec ce côté très cloud et fumé. Mais si la discographie de la jeune artiste semble encore maigre, il faut se pencher sur son soundcloud - où elle a débuté - qui constitue une véritable mine d’or. Elle y poste tous les titres qu’elle ne travaille pas plus que ça, dans une authenticité on ne peut plus appréciable. Amour et sexe sont ses sujets de prédilection, sans tabou car la jeune femme a en elle une passion enflammée. Le tout constituant un véritable plaisir auditif, aussi doux que du miel.

 

 

« J'rallume mes vieux mégots, j'harcèle mes vieux, mes go / J’dis qu'j'suis pas mal, oh, j'dis qu'jsuis parano / Avec une tchoin tu l'fais bien, avec moi tu fais le chien »

 

Après Bruxelles et Lyon, c’est à Bordeaux que l’on s’arrête, à la rencontre de Babysolo33. Si elle aussi s’inscrit dans cet univers très cloud, elle le fait d’une toute autre manière, avec son autotune dont elle use sans retenue. Sa voix aigue et faussement ingénue ainsi que ses prods fumées cachent une virulence assumée dans ses lyrics. Il est vrai qu’elle manie la chose avec tant d’aisance qu’on ne s’en rendrait presque pas compte, mais Babysolo33 nous fait vraiment de l’égotrip. On adhère à son esthétique kitsch, avec ce rose Barbie qui se voudrait cliché au possible, mais qu’elle arrive à modeler dans une sorte d’équilibre presque pudique. Elle maîtrise les codes d’un univers très influencé par le digital et les années 2000, pour façonner son propre petit monde.

 

 

« J'entends plus les bruits d'cette bande de schmets  / T’façons, j'me sens à ma place que quand j'le fais / J’apprécie le silence de cette bande de cons »

 

Issue du collectif 75ème Session, l’organisation qui a dévoilé au grand jour un certain nombre d’artistes de la scène rap française tels que Népal, Georgio, Doums et le Panama Bende, la rappeuse Zinée est promise à un avenir radieux. Avec son regard fatigué, son style streetwear et ses tatouages, la jeune femme a sorti au début du mois son premier titre Personne, et autant vous dire qu’il vaut le détour. Sa voix pitchée au maximum, elle pose avec aisance sur une prod de trap, le tout accompagné d’un clip alternant plans aux côtés de ses proches, autour du mic, ou masquée (elle est covid-friendly). Dans l’attente d’un projet prochain, en espérant qu’il révèle la jeune artiste à un public plus large.

 

 

L’écoute de ces quelques artistes devrait finir de vous convaincre sur l’avenir des femmes dans le rap français. Si les auditeurs parvenaient à se défaire de leurs stéréotypes, ils seraient sans doute stupéfaits de constater le niveau assez exceptionnel de créativité dont elles disposent. Un rap réinventé avec leurs propres codes, qui fait du bien aux oreilles, n'en déplaise aux misogynes.

 

Retrouvez le premier volet ici : Quand les femmes s’imposent dans le rap français.

Yassmine Haska