Black Lives Matter né en 2013 à la suite de l’assassinat de l’adolescent noir Trayvon Martin par le policier George Zimmerman. Ce dernier ayant été injustement acquitté, le #BlackLivesMatter émerge sur les réseaux sociaux, en lutte contre le contrôle au faciès, les violences policières, et les inégalités raciales dans le système judiciaire américain.
Rebond important au sein du mouvement le 25 mai 2020 avec l’assassinat de Georges Floyd par le policier Derek Chauvin à Minneapolis. Un évènement dramatique qui bouleverse la planète entière, et déclenche des émeutes et manifestations d’abord à travers les Etats-Unis, puis à échelle mondiale. Impossible donc de passer à côté de ces faits révoltants, au coeur de toutes les actualités et de tous les débats. Impossible également pour les artistes de rester de marbre face à ces oppressions.
Ces thématiques ne datent pas d’hier : la lutte antiraciste a fréquemment été le sujet de bien nombre de morceaux incontournables tels que Redemption Song de Bob Marley, Fuck Tha Police de N.W.A ou encore Say It Loud de James Brown pour ne citer qu’eux. Mais si ces musiques sont véritablement devenus des hymnes, ils s’inscrivent dans un contexte bien différent des événements actuels. Parmi ces morceaux mythiques, Killing In The Name a un impact particulièrement retentissant : musique de rock produite par les blancs et pour les blancs, elle s’impose néanmoins comme le son par excellence en soutien à la communauté afro-américaine, dans le contexte des émeutes de Los Angeles de 1992 à la suite de l’assassinat d’un automobiliste noir, Rodney King par quatre officiers de police. Le morceau résonne encore dans les esprits, avec un amer goût de déjà vu dans l’assassinat de Georges Floyd. Machine Gun Kelly reprend d’ailleurs le morceau en juin 2020, manifestant ainsi son support à la communauté noire. Au-delà donc du militantisme des concernés, la musique sert aussi à l’expression d’un soutien des alliés blancs, faisant de cette lutte un combat multiracial, même si elle demeure avant tout une mise en lumière des problèmes des noirs, par les noirs, et pour les noirs.
Les rappeurs sur le devant de la scène politique
Force est de constater que la culture populaire prend de plus en plus de place sur la scène politique, et parmi cette culture, l’industrie musicale n’est pas épargnée. Alors que les figures politiques perdent de plus en plus la confiance de leurs citoyens, avec une crise de la représentativité qui traverse nos démocraties modernes, les icônes de la musique, elles, parviennent à rassembler les masses. Et pour cause : les lyrics d'une musique entraînante, en particulier pour le rap, devenu le genre musical le plus écouté aux Etats-Unis, sont beaucoup plus saisissants et accessibles que de longs discours rébarbatifs et pseudo-intellectuels, et ce qui plait à la masse fait assez vite office de modèle de références. La présence de Beyoncé à la cérémonie de remise des diplômes virtuelle « Dear Class 2020 », qui a eu lieu le 7 juin 2020, aux côtés de Michelle Obama en est un exemple probant : l’interprète de Brown Skin Girl, n’a pas manqué cette occasion de mobiliser la jeunesse autour du Black Lives Matter et à féliciter les jeunes afro-descendants pour leur excellence académique malgré toutes les difficultés qu’ils rencontrent au quotidien.
Un discours fort et remarqué, dans la lignée de son engagement déjà reconnu avec son morceau Formation interprété au Super Bowl 2016, exprimant sa fierté en tant que femme noire et la force que cela lui procure face à toutes les discriminations. Morceau retentissant et inspirant, puisqu’il a fait l’objet d’une incarnation dans le costume iconique de Beyoncé lors du Super Bowl par des militantes noires transgenres lors de la manifestation Black Trans Lives Matter.
L’accessibilité du discours des artistes sert ainsi les causes populaires, et affirme la légitimité des artistes à s’engager. Leur mobilisation a un impact réel, tant l’influence de ces personnalités publiques est sans cesse grandissante. Une étude de l’implication des stars de l’industrie musicale dans le mouvement Black Lives Matter ne peut évidemment pas omettre le point ô combien important que le soft power américain repose justement en grande partie sur sa musique, qui s’exporte mieux que nulle autre, et donc par extension, sur ses artistes, érigés comme modèles.
Artistes mais individus avant tout : un engagement résultat d’un vécu
C’est justement le caractère humain et social de ces artistes qui les mobilise. Généralement d’origine afro-américaine, difficile pour ces icônes qui affirment leur soutien de ne pas se sentir concernés par les évènements. Quand Trey Songz compose 2020 Riots : How Many Times, c’est plus que de l’empathie qu’il éprouve pour Georges Floyd et pour toutes les autres victimes de violences policières, c’est une véritable identification à cet homme, car à quelques tournants de carrière près, il aurait pu être à sa place. Il raconte s’être réveillé en sueur en pleine nuit, la poitrine serrée, étouffant, tant il ressentait en profondeur la souffrance de l'homme de 46 ans assassiné par la police. Comment aurait-il pu rester passif en étant aussi vivement saisi par l’évènement ? C’est exactement ce saisissement profond qu’il cherche à provoquer dans sa musique, toucher authentiquement ses auditeurs, titiller leur empathie et ainsi susciter leur colère pour s’allier à la cause. Sur des accords de piano et des airs de blues, Trey Songz propose un morceau très différent de ce qu’il fait habituellement, tant sur le fond que sur la forme, mais traduit une sincérité qui atteint son objectif premier : sensibiliser son public aux violences policières et au racisme.
Une expression variée de leurs positions politiques
Trey Songz n’est pas le seul a avoir eu cette réaction immédiate et presque naturelle de composer une musique pour affirmer son soutien à la cause. Lil Baby assume complètement son engagement dans la lutte antiraciste et réagit à chaud : à coup d’extraits de journaux télévisés et de plans sur les foules le poing levé, t-shirt BLM au corps, impossible de passer à côté du message puissant de l’artiste sur The Bigger Picture, qui lui aussi, autant à travers de son clip que de son morceau, s’écarte énormément de son style de musique habituel. Car la cause en vaut la peine : se taire serait, pour eux, se soumettre à la répression. Or la volonté des artistes, et notamment de Lil Baby, mais également de la rappeuse Noname, est de faire entendre leur opposition au système. Et faire entendre son opposition au système, quand on est une personnalité publique, ce n’est pas anodin : il ne s’agit plus là seulement de l’expression d’une opinion, mais d’un véritable appel au soulèvement. De quoi faire taire ceux qui accusent le scène hip-hop d’être trop peu politique et de n’être qu’un simple champ de bataille d’égos.
J.Cole n’est pas de ceux qui considèrent que se taire serait un signe de soumission. Bien sûr, il encourage la lutte, et sort même Snow On Tha Bluff en réaction immédiate aux événements. Mais pour lui, il y de meilleures façons de le faire que d’autres. Ainsi, le message de son morceau est tel : quitter le confort d’une lutte numérique, à travers des # et des stories Instagram, pour véritablement descendre dans les rues et agir. Car c’est pour lui l’action plus que les paroles qui feront changer les choses. Si certains ont choisi d’agir par le don, comme Drake et The Weeknd, qui ont offert chacun plusieurs centaines de milliers de dollars à des associations antiracistes, J.Cole lui, suit les cortèges de manifestants Black Lives Matter. Le roi du rap game Kanye West, lui, malgré une grande discrétion et des opinions politiques très critiquées, est pourtant descendu dans les rues en plus d’avoir fait don de plus de 2 millions de dollars à des associations antiracistes, faisant taire ses détracteurs.
La scène hip-hop US est donc on ne peut plus active en réaction aux événements. Chacun à leur façon, les artistes affirment leurs prises de position, à travers leurs musiques, leurs discours, leurs dons et leurs réseaux sociaux. Une industrie musicale qui refuse de se taire, et se sert de sa notoriété pour diffuser au monde entier l’état actuel des enjeux sociétaux et l’intérêt des luttes antiracistes. Si certains accuseront ces artistes de « charity business », l’importance de la cause mérite de faire abstraction de considérations individuelles pour mieux se focaliser sur les luttes qu’ils soutiennent.